Reporting live from Montréal
Vendredi, 15 novembre 2013
photos : Éric Bolduc
En terminant mon bulletin de nouvelles, je vois sur Facebook que James Fowler, un artiste de Toronto, s’en vient faire un tour à Montréal. Il demande quelles sont les expos à voir. Je ne le connais pas, mais il semble bien sympathique. Je lui dis d’emblée d’aller au Belgo, pour voir un maximum de galeries d’art contemporain. On se donne rendez-vous pour 15h30 au 5e étage. S’ensuit un tour guidé alors que nous passons de Trois Points à Nicolas Robert, Hugues Charbonneau, Pierre-François Ouellette et finalement Laroche / Joncas.
Premier stop, TABLES D’ÉCOUTE de Mario Côté chez Trois Points. L’exposition touche plusieurs cordes sensibles chez James, lui-même peintre qui s’intéresse au séquençage, ordonnant des compositions linéaires selon des grilles et des codes de couleurs. On discute avec Émilie et Maude de l’exercice de transcription visuelle de partitions musicales dans l’œuvre de Mario. Sans être initié au processus de l’artiste, on comprend tout de go qu’il s’agit d’un script sophistiqué. J’apprécie aussi de voir les œuvres de grandes dimensions en personne, l’échelle ici fait toute une différence et les images sur le web ne rendaient pas justice à l’expérience. Dans la deuxième salle d'exposition, une pièce retient notre attention, j’y vois la luminosité d’un Pavane de Riopelle. James y voit Pollock, avec raison.
Deuxième arrêt, FAUX MONUMENTS de Simone Rochon chez Nicolas Robert. On s’attarde aux élégants collages de papier texturé à l’aide de pigments métalliques, entre autres. Des structures évoquant le monument funéraire sont posées dans le vide. La composition minimaliste comporte des perspectives accentuées qui forcent l’œil à percevoir un espace qui n’existe pas. La palette est très séduisante et les textures marbrées me rappellent les années 80. On s’attarde aussi à la sculpture qui pour moi consiste en une figure humaine. J’avoue avoir le béguin pour cette œuvre que j’avais remarquée lors de mon passage à Art Toronto. J’apprécie le jeu entre matériaux nobles et pauvres et la tension entre le ready-made et l’allusion à un art académique.
Je croise Mathieu Lacroix de feu Les Dessinators, un collectif de dessin qui n’est plus actif maintenant. Il me raconte à la blague que les œuvres des Dessinators ont été détruites lors d’un dégât d’eau. Je prends des nouvelles. Histoire de trouver sa place sur le marché du travail culturel, Mathieu poursuit depuis deux ans une technique de muséologie. Il se dit satisfait de son choix, bien que les études amènent avec elles un lot de sacrifices et surtout d’endettement.
Avec James, on passe au troisième étage voir les filles de l’AGAC. Sur Facebook, Julie (la directrice) l’avait invité à passer chercher une carte des galeries membres à Montréal. Juste à côté des bureaux de l’association, on remarque un grand carré de bois au sol, comme une incrustation dans le plancher original - qui ne date pas d’hier. On pourrait croire qu’il s’agit d’une œuvre in situ. Il n’en est rien. Julie nous explique que l’édifice a effectué une rénovation très localisée suite à … un dégât d’eau ; décidément !
Juste à côté se trouve l’expo NOIR DE FUMÉE ET BLANC DE TITANE de Julie Trudel chez Hugues Charbonneau. J’apprécie ce retour à des préoccupations formalistes chez de jeunes artistes comme Julie et Jean-Benoit Pouliot notamment, aussi chez Hugues. Le processus expérimental de Julie présenté dans ce nouveau corpus s’accompagne comme toujours d’un souci d’exécution remarquable. Le résultat est on ne peut plus sensuel. Avec James, on parle de l’effet de profondeur dans certaines des œuvres circulaires, des lignes franches qu’on trouve en scrutant les tableaux, de l’accidentel vs. l’intentionnel, de la poésie. On ne peut s’empêcher d’aborder la question de la séduction – voire de la décoration – des œuvres, une sorte de tabou en art contemporain. À la blague, je prends une photo de ses montures de lunettes, qui se fondent étonnamment à la texture marbrée de la peinture.
Au deuxième étage, on visite RÉSOLUTION DE CONFLITS chez Pierre-François Ouellette, une exposition du commissaire Edward Maloney avec les œuvres vidéo de Kota Ezawa, Bjørn Melhus, Klængur Gunnarsson et Daniel Froidevaux & Elisa Gonzalez. En entrant, un ipad en guise de moniteur présente une vidéo qui consiste en un gif animé (il semble). Deux ou trois images d’un hélicoptère alternent en boucle. L’œuvre de Kota retient aussi notre attention, une animation faite à partir de papiers découpés peints à l’aquarelle, des images politiques que l’artiste choisi de montrer à travers un écran de télévision dessiné (à même l’image) nous semble joyeusement décalé ; une sorte de mise en abyme médiatique. Dans la pièce adjacente se trouve d’autres projections, accompagnées d’un dispositif sonore omnidirectionnel, en forme de coupole, au plafond.
Retour au quatrième étage, pour voir TOURETTE de Christian Messier chez Laroche / Joncas, un joyeux corpus décomplexé. Christian exécute ses œuvres très rapidement, en tentant de ne pas s’attarder à la perception que le spectateur aura du produit final. S’ensuit une facture qui a quelque chose du brut, sans l’être réellement. J’explique à James que l’artiste est à la base un performeur et que je ne connaissais pas son travail de peinture jusqu’à tout récemment. L’ensemble a quelque chose de naïf au premier abord. En s’attardant aux œuvres, la justesse étonnante des proportions est frappante. André nous confirme que les peintures sont basées sur des photographies. Les coups de pinceaux, en apparence grossiers, décrivent des lignes et des proportions adéquates. La facture des œuvres, à l’instar de leur sujet, oscille entre loufoque et réalisme, pour un résultat étonnement harmonieux.
La visite guidée se termine ici et je me dirige à la galerie Les Territoires qui fête son 5e anniversaire avec un party « Blitz », une formule à la Pecha Kucha : 20 diapositives de 20 secondes chacune commentées par l’artiste. Entre chaque présentation, on nous sert des shooters, en commençant par des « gello shots », histoire de détendre l’atmosphère.
La première présentation est de Marie Dauverné : « Petit manuel de désinstruction bric-à-braquesque ou comment l'errance sur un chantier de dentelle et de mortier permet (parfois) d'exhumer quelques cadavres d'histoires ». Marie a donc brisé la glace avec une performance exceptionnelle, je crois bien que c’était ma préférée, maniant une langue impeccable, y allant même à un moment d’un slam bien senti, étoffé d’un vocabulaire soutenu, wow. Avec une approche humoristique qui fait mouche, digne d’une stand-up, elle nous accompagne à travers des images empruntées et de ses œuvres autour de la thématique de l’identité lesbienne.
Ensuite vient la séquence de Mika Goodfriend, récipiendaire du prix BMO 2012 pour sa série SnowBirds, une série à caractère anthropologique à propos des québécois qui s’exilent en Floride lors de la saison froide. Avec pour titre « A few simple stories about love and relationships », l’artiste nous présente ses difficultés au niveau identitaire et de socialisation, surtout sur le plan des relations intimes et amoureuses – quasi inexistantes à ce jour. Mika aborde des sujets tels la solitude et l’isolement, la sous-éducation sexuelle, son propre éveil amoureux sans égard au genre des personnes. J’avoue avoir été très touché par cette approche candide, un brin auto-dérisoire. L’aspect autobiographique de sa pratique photographique ne m’était pas apparu auparavant et il fallait certainement une bonne dose de courage pour livrer un témoignage aussi personnel. Sa présentation terminée, une autre ronde de shots, de la vodka, ok.
Au tour d’Andreas Rutkauskas de nous offrir un tour de piste accéléré sur l’art immersif : « On the history of immersive technology, from cave painting to virtual reality ». En rafale, l’artiste passe des œuvres archéologiques, les peintures d’animaux couvrant les murs des cavernes, au trompe-l’œil baroque à la renaissance, aux dispositifs panoramiques de la période des Lumières, à une œuvre emblématique de Jeff Wall (Restoration 1993) aux avancées technologiques de Google (Street view / Google Earth / Google Glass). On en ressort étourdis mais inspirés. Ouf. More shots, du wiskey, ouche.
Puis vient Guillaume Adjutor Provost, artiste et commissaire, qui nous présente différents projets. L’artiste choisis de nous parler de ses expérimentations avec les écrans, de ses nombreuses résidences, de performances, de ses publications, surtout des zines. On ne voit pratiquement aucun dessin. Ce qui me frappe dans la présentation de Guillaume est l’aspect collaboratif de ses œuvres. Certaines consistent en une série d’instructions qui peuvent être exécutées aussi bien par lui que par d’autres. Lors d’une exposition de cactus avec des malformations et/ou anomalies, il invite un botaniste à prendre possession de l’espace pour une certaine durée et d’en faire un étal où vendre ses produits. J’apprécie la réflexion que cette pratique non-orthodoxe force sur les notions de marchandise et de capital. Encore des shooters …
La dernière présentation de la soirée est donnée par le duo Jean-Sébastien Vague, constituée de deux jeunes femmes arborant une coupe de cheveux et une tenu identiques : « un collage entre conférence, performance et démonstration Tupperware. Sans Tupperware. » Elles y vont effectivement d’un « pitch » publicitaire pour un produit imaginaire, le « bradpit », qui vient au secours des vedettes qui manquent de pilosité … au niveau des aisselles. Avec un discours scripté et fort humoristique, les artistes portant en dérision le concept même de la présentation d’artiste. L’effet est – excusez-moi le jeu de mots - désopilant et, alcool aidant, l'assistance est en délire.
Vient ensuite le gâteau d’anniversaire. La fête se poursuit dans l'obscurité, on fraternise de plus belle. Dans la pièce adjacente, un dispositif jette une constellation lumineuse vert électrique qui accompagne la musique des années 80. On essaye de danser. Même dans le noir, un peu comme Mika, je ne suis pas tout à fait à l’aise …. Réfugié derrière la caméra, je prends des photos et des vidéos. Un peu éméché, je décide de rentrer sans dire bye à tout le monde, ce serait interminable. En direction pour la maison, la lune éclate ; elle n’est pas exactement pleine, mais à en juger par l’ambiance de ma soirée, c’est tout comme.
- Éric Bolduc