Conseil no 3 : s’organiser
Nous avons tous des forces et des faiblesses. Certaines personnes sont très organisées au travail comme à la maison. Pour certains, remplir des demandes de subventions, rédiger des budgets et garder un suivi sur la progression de projets en temps réel est un jeu d’enfant. Je ne suis pas de ceux là. On ne peut être bon en tout .. En fait, ces gens là sont plutôt difficiles à trouver si vous voulez mon avis sincère.
Ainsi, alors qu’un mince pourcentage de la population comprend quoi faire pour réussir dans leur domaine, la plupart ne peuvent en dire autant. Et comme moi, plusieurs éprouvent un dédain profond pour la paperasse. Pour nous, toutes les excuses sont bonnes pour éviter de s’occuper de ses papiers, que ce soit un rapport d’impôt, une demande de bourse, une démarche artistique ... Après tout, nous suivons notre instinct, notre penchant pour l’informe, l’inspiration, nous ne sommes pas des comptables ! C’est pour ça que j’ai un comptable depuis 10 ans maintenant. J’ai tout de suite compris que je ne maitrisais pas la situation dans ce domaine, alors je paie joyeusement 100 $ par année et reçois plusieurs fois ce montant en retour d’impôt.Certains papiers sont insurmontables pour moi, le rapport d’impôt fait partie de cette catégorie. D’autres papiers sont surmontables .. c’est de ceux là dont il est question dans ce troisième conseil pour jeunes artistes que je vous présente ici.
Le stéréotype de l’artiste damné, chaotique et brouillon, n’aide personne. Il est possible de laisser une place à l’irrationnel et une certaine désinvolte dans le cadre de sa pratique artistique (dans le studio) tout en laissant une place pour l’équilibre. Cet équilibre contribue au rendement artistique d’ailleurs. Qu’est-ce qu’un rendement artistique ? C’est ce qu’on entend lorsqu’on dit « ça marche bien » ou « les choses vont biens » .. Pour que les « choses » aillent bien pour un artiste, il se doit de voir à ce que non seulement « l’art » (la production) aille bien, mais ce qui l’entoure aussi. Il faut faire avec tout ça.
En tant que travailleur autonome, l’artiste est appelé à être son propre patron dans plusieurs champs d’expertise. Il sera appelé à « sortir de sa zone de confort » et s’employer à faire un minimum de gestion s’il veut « s’en sortir ». Qu’est-ce qu’un artiste qui s’en sort ? C’est quelqu’un qui réussit à vivre tout en pratiquant son art. Est-ce que ça veut dire vivre de son art ? Pas nécessairement, mais nous reviendrons sur ce point dans le futur. Pour l’instant, revenons aux papiers.
Les papiers essentiels pour tenir sa comptabilité et/ou remettre les bons chiffres à son comptables sont (outre les T4 de notre emploi de jour) :
- reçus de dépenses reliées à la pratique : matériaux, équipements, frais de représentation, location d’atelier, location d’espace d’exposition, hébergement d’un site web, restos avec clients, etc.
- factures de vente d’œuvres
- factures de services connexes : montage d’exposition, aide technique, commissariat, commission sur les ventes d’œuvres, etc.
Les papiers les plus importants pour moi toutefois demeurent les feuilles de mon agenda. J’ai regardé plusieurs modèles avant de choisir un agenda qui me montre la semaine sur deux pages, avec assez d’espace pour noter des blocs d’une heure ou plus. Un agenda est utile bien sûr pour y noter les évènements à ne pas manquer, les rendez-vous importants, les obligations du boulot, les 5à7, la famille, enfin tout, toutes les activités peuvent y être réunis, côte-à-côte. Cette vue panoramique de la semaine permet de mieux gérer son temps mais aussi son effort. On peut ainsi plus facilement négocier notre dispersion d’énergie et balancer les activités entre elles. Trois périodes de studio par ci, une période de traitement de courriels par là, une soirée en amoureux ici et là .. vous voyez où je veux en venir. L’agenda est un outil sous-estimé par plusieurs artistes alors qu’il sert à encadrer notre vie gentillement, de sorte que lorsque c’est le temps de peindre ou sculpter ou réfléchir, c’est le moment, on entre dans la zone et vlan, ça y est. Ensuite, toutefois, on n’oubli plus l’anniversaire de sa blonde ou son chum, perdu dans nos pinceaux, nos couteaux ou nos grandes idées .. on revient à la vie dont nous faisons partie nous aussi.
Pendant longtemps, je n’utilisais pas d’agenda et voguais pour ainsi dire sur la rivière d’un temps informe et ballotait d’une occupation à l’autre indistinctement et sans préparation, sans réflexion. Je réalise aujourd’hui que ce manque de vision d’ensemble m’occasionnait une certaine angoisse. Aussi, j'ai appris que je pouvais (et devais) faire de la place pour d’autres choses que le travail et la création, comme la vie de famille, le ménage, etc. sans toujours assumer que je pourrais « bosser » encore et toujours, à toutes les occasions en fait. Je négocie maintenant, premièrement avec moi-même, les moments de travail et les moments réservés à d’autres sphères. Je sais que ça sonne « évident » voir simpliste comme conseil, mais si je réduisait celui-ci à une seule dimension, celle du temps serait la plus importante. Ça prend un brin de discipline, ça ne vient pas tout seul l’organisation. Ses bienfaits sont si grands toutefois, qu’il me semble important d’insister.
En s’organisant, en gérant son temps, on gère à la fois son effort et son plaisir. Au début, c’est naturel de dire oui à plusieurs choses qu’on arrive à peine à garder en tête. Nous voulons plaire, s’accomplir et se prouver aussi, bien sûr. Il est possible de dire « non, mon emploi du temps ne le permet pas ». On peut remettre à plus tard, nous avons déjà plusieurs engagements. Nous pouvons aussi réduire l’effort. Évaluer ce qui est négociable pour soi comme pour les autres. Il faut saisir la valeur de son travail et la valeur de la vie aussi. En calculant l’effort, on arrive à mieux se concentrer, mieux travailler. Il nous est possible de fournir un effort soutenu pendant un certain temps puis s’arrêter, abandonner l’activité et s’en remettre à nos « obligations » de tous les jours, qui constituent souvent d’une boufée d’air frais dans le cours de notre vie effrénée.
Ce travail de négociation avec soi-même nous aide à conserver un équilibre qui bénéficie à notre pratique et toutes les sphères de la vie par la même occasion. L’énergie que nous aurons insuflée dans ses autres domaines d’activité n’est pas en compétion avec l’énergie que nous réservons à notre pratique artistique. Alors que nous accordons du temps, notre présence, à tout le reste, cet investissement agit tel un système de soutien et nous le renvoyons à l’artiste qui est en nous et qui doit transiger avec les autres facettes de la vie.
Finalement, j’aimerais souligner que tous nos efforts sont cumulatifs. Nous pouvons quelquefois éprouver une certaine lourdeur à jongler avec toutes ces dimenssions, nous pouvons avoir l’envie de suspendre la vie artistique, pour toujours. Ou encore c’est le contraire, nous quitterions tout le reste, afin de ne se concentrer que sur la pratique .. La voie du milieu est la solution : arriver à dialoguer à la fois avec notre désir de créer et notre envie de vivre une vie normale, de se sentir bien dans tout ça. Nous pouvons nous demander à quoi ça rime après tout, à quoi ça sert ? Peut importe notre niveau de croyance en notre pratique et notre capacité à concilier passion et vie de tous les jours, les deux persistent et croissent par accumulation. Tout ce que nous faisons, à travers la pratique et autour d’elle contribue à la faire grandir.