VIP day and night
Je croise Hugues Charbonneau qui se balade. Il me dit à la blague que la section où il se trouve (NEXT) est évidemment la meilleure. La section NEXT regroupe les galeries émergentes. Plusieurs galeries québécoises en font partie et la plupart présentent de l’art effectivement plus actuel. On oserait dire moins « pot de fleur ». Hugues veut faire un tour rapide pour repérer où se trouvent les galeries les plus intéressantes. L’année dernière, les visiteurs lui demandaient où aller et il ne savait pas quoi leur répondre. On marche ensemble.
Il m’explique qu’en plaçant deux œuvres côte à côte, une d’art contemporain et l’autre qui ne soit pas tout à fait originale, il puisse être difficile de faire la différence. En fait, il y a beaucoup d’art dans la foire qui « ressemble » à de l’art contemporain. La seule façon de vérifier la qualité des œuvres selon lui est de suivre les artistes dans le temps. Un artiste qui présente toujours la même chose, année après année, ce n’est pas intéressant. Même si ça « marche », s’il s’agit d’une recette, on n’est plus en présence d’une pratique qui se démarque par sa pertinence.
Il est midi 30 et toujours pas de boites de magazines en vue. En fait oui, seulement pas celles de Ciel variable. Je contacte par courriel la compagnie responsable de la livraison. Ils me disent que c'est prévu pour aujourd'hui d'ici 17h00. Le hic c'est que je devais les recevoir avant midi. La période d'installation se termine à 14h00 pour le nettoyage final du tapis posé ce matin. Nous pourrons revenir de 15h00 à 16h30, juste avant que les premiers arrivants débutent leur visite. Ensuite, c'est le "VIP preview" à 18h00. Dans le pire des cas, je pourrai installer demain avant midi. J'avais pourtant discuté avec eux pour m'assurer que si la cueillette se faisait chez nous deux jours avant (le 22 octobre), le colis serait sur les lieux dans les temps ... Finalement, à 12h45, mes boites sont arrivées halleluiah ! Ça me laisse un peu plus d’une heure pour faire rentrer 200 revues dans leur sac individuel.
Il est maintenant 14h00 et nous devons quitter les lieux pour permettre à l’équipe de ménage de nettoyer les tapis et s’assurer que tout est en place pour la soirée VIP. Je retourne à la chambre pour faire la sieste. Je n’arrive pas à dormir. Bientôt, c’est l’heure de revêtir nos plus beaux vêtements et de retourner faire du « mingling », c’est à dire se mélanger avec la foule. Les coupes de vin qu’on nous sert sont remplies à ras bord et les buffets un peu partout proposent aux convives sushis, brochettes de souvlakis, côtelettes d’agneau et autres mets succulents. Il y a même une station avec un chef qui découpe un énorme morceau de viande saignante, de l’agneau je crois. C’est plutôt décadent. Les invités ne se gênent pas. Nous faisons la file plusieurs fois pour s’approvisionner encore et encore.
Il semble y avoir moins de gens que les années précédentes, on circule plus facilement. Je croise les gars d’Art Mûr, Rhéal et François, qui se disent bien heureux d’être là en touristes, pour une fois. Ils ont effectivement l’air bien relaxe. Ils peuvent profiter de la foire et rencontrer plus facilement commissaires et autres personnes influentes du milieu rassemblés pour l’occasion. Je vois Émilie et Jean-Michel de Trois Points. Ils m’expliquent que le fait que plusieurs galeries membres du CA de l’AGAC ne soient pas présentes cette année est fortuit. Que Donald par exemple n’était pas là il y a deux ans mais qu’il est revenu l'année dernière et cette année. Qu’il y a tant de projets dans lesquels s’investir qu’à un moment donné, il faut faire des choix. Cette année, plusieurs ont fait le choix (sans se consulter) de ne pas venir à Toronto. Ça n’empêche pas Émilie de participer demain à une table ronde "Big in Toronto" à titre de médiatrice. Il s'agit d'une discussion à propos des artistes québécois dans les collections privées et corporatives de Toronto.
Pascal Caputo, visiblement content de participer à la foire
Ironiquement, Art Toronto, c’est l’occasion pour plusieurs membres de la communauté de l’art contemporain de Montréal de fraterniser. Chez nous, c’est chacun pour soi, en quelque sorte. Mais ici, en dehors de notre petit monde, on se regroupe et c’est pour moi un réel plaisir de voir tous ses passionnés en un même lieu, pour un temps limité.
Voilà Sylvie Fortin, nouvelle directrice de la Biennale de Montréal, à qui je présente Dominique Bouffard et un de ses artistes vedettes, Pascal Caputo, qui fait des peintures à partir de photos vernaculaires dont il retire les figures humaines. Sylvie n’est pas là tant pour repérer des talents mais surtout pour « se remettre dans le bain ». Elle qui avait quitté le Québec depuis belle lurette pour, entre autres, diriger la revue Art Papers pendant sept ans.
oeuvre : Anthony Burnham
Dans le « booth » d’Antoine Ertaskiran, je reçois une flute de champagne (!) et fais la connaissance de Luce Meunier qui me parle de son travail avec la toile, qu’elle plie, repasse au fer et colore avec des bombes aérosol. Je mentionne que ça me rappelle la technique Tie-Dye. Elle s’empresse de m’emmener dans l’espace de René Blouin pour me montrer son coup de cœur, une œuvre d'Anthony Burnham. L’artiste semble avoir déposé la toile sur des objets et utilisé différentes couleurs en aérosol aussi. L’effet de drapé est saisissant. Avec quelque chose de l’iconographie religieuse. La coïncidence du procédé et de l’objet illustré est fort intéressante. Et Luce n’en démord pas, elle tripe solide sur cette pièce. J'apprendrai plus tard que Burnham place le canevas sur une table à succion, ce qui permet ce rendu si caractéristique.
René Blouin devant une oeuvre de François Lacasse
Sylvia Casas, qui était au Parisian Laundry et maintenant chez Iegor l’encanteur, nous montre des photos de sa famille sur son téléphone. Elle a une jolie petite fille de 2 ans maintenant. Elle parle aussi de sa première exposition d’art contemporain, dont elle avait fait l’expérience chez René justement. Ça l’avait marqué, il ne se trouvait dans tout l’espace qu’une fleur, derrière la colonne centrale. René nous raconte que plusieurs visiteurs n’entraient pas dans la galerie, croyant qu’elle était vide et que l’exposition devait être terminée. C’était en 1994, il y a presque vingt ans.
Jean-François Lauda et Hugues Charbonneau
J’ai le plaisir aussi de rencontrer d’autres jeunesses de l’art contemporain montréalais, comme Jean-François Lauda, nouvellement représenté par Battat Contemporary. Il me parle de sa relation privilégiée avec sa galeriste, Daisy, qui multiplie les visites au studio et se préoccupe de lui. Je passe voir l’espace de Battat et elle m’explique que c’est pour elle la meilleure façon de faire, d’entretenir une communication constante avec les artistes pour mieux les accompagner et les présenter aux visiteurs et collectionneurs. On parle de Sophie Jodoin, aussi chez Battat, et de sa nouvelle direction. Sophie présentait souvent des figures et depuis quelque temps, c’est plutôt les objets et des références aux traces que nous laissons dans l’espace architectural que l’on retrouve dans ses dessins.
la terrasse du Drake
La soirée VIP tire à sa fin. Les gardiens nous invitent à procéder vers la sortie. Tout le monde se pose mutuellement la même question : « est-ce que tu vas au Drake ? » Le Drake est un hôtel très « artsy trendy » qui accueille seulement les gens de la foire le soir du VIP d’Art Toronto. On doit montrer son badge pour entrer. Une forte concentration de montréalais s’y retrouvent chaque année et la fête se poursuit d’habitude jusqu’à la fermeture du bar. Signe que moins de galeries participent cette année, on y circule librement et il n’y a même pas de « line up » pour monter à l’étage, où se trouve la terrasse chauffée. On arrive même à choisir où s’assoir, du jamais vu. Un verre, deux verres et c’est tout. Mark, le propriétaire de la Galerie d’Este nous propose de nous reconduire. Mais avant, on ne peut passer à côté de la mythique "Poutini's, House of Poutine". On y sert une excellente poutine et c’est une tradition que d’y aller après le Drake. Ce n'est pas la Banquise, mais c'est tout de même délicieux.
Poutini's House of Poutine, photo : Simone Clark