~ english follows « ÉPREUVES DU TEMPS » Entre réalité et imaginaire, macrocosme et microcosme, André Boucher nous convie à un voyage à fleur de peau, à fleur de matière. À la frontière du perceptible, l’organique devient virtuel, et la photographie se fait peinture. Aux quatre coins de ces grands formats hauts en couleurs, l’œil court, glisse, ricoche, plonge et se réjouit, cherchant un passage entre la deuxième et la troisième dimension, entre le soi et le monde, cherchant malgré lui à rentrer dans le cadre.
Soumises à l’accélération de notre société et à l’érosion du temps, des surfaces urbaines bafouées deviennent le centre d’un nouvel intérêt, se réincarnent par la magie du regard de l’artiste qui les sublime et joue avec nos sens. Avec ironie et tendresse, il lève le rideau sur les recoins négligés de notre environnement, qui se dévoilent couche après couche, nous ramenant avec force et subtilité au coeur de l’architectonique de notre quotidien embrumé de citadins.
De photographe aérien, l’on devient, l’instant d’après, archéologue. Car c’est dans le détail que l’œuvre se révèle. Il faut y débusquer les signes qui sont autant de ponts entre l’univers onirique et peuplé de l’artiste, notre inconscient, et le réel qui brusquement nous submerge, faisant basculer nos repères. Une seule alternative: jouer le jeu. Une seule règle: les oublier toutes.
Redonner la parole au sauvage que l’on porte en soi. S’abandonner à un sentiment instinctif, un sentiment océanique. Des mondes inavoués et refoulés se déploient soudain, prenant vie à la confluence du beau et du sens, à la croisée des regards.
La lumière devient l’expression de l’ombre, la création devient catharsis. Des âmes naissent, renaissent et se rejoignent au cœur d’espaces intimistes ou infinis, d’une étrangeté familière, avant de s’affranchir des frontières de tous ordres, dans un immense éclat de rire, un pied de nez aux conventions. Car il faut aller jusqu’au bout. Vivre, ressentir avant toute chose, avant même que ne viennent les mots, que les liens ne soient établis, que le saut périlleux ne soit accompli. Le jeu gagné, le « je » réaffirmé, les choses reprennent alors leur place, les idées se fixent, une impression émerge, précédant de peu les premières syllabes. Proclamation d’une humanité retrouvée.
Mais les certitudes sont souvent trompeuses, et la vérité se dérobe pour laisser la place à l’illusion qui nous endort, nous dénature, nous amoindrit. Nous met en danger. Oscillant entre abstraction et figuration, impressionnisme et automatisme, la photographie d’André Boucher surprend malgré elle, emprunte un langage pictural qui nous confond. Elle se joue des limites, du temps, de l’histoire de l’art et des hommes, pour leur livrer, dans une éclatante métaphore chromatique, le devoir de vigilance. Gratter le superficiel, autopsier le tout-venant, penser au-delà de l’évidence, voir au-delà du convenu, du convenable. Avec générosité, l’artiste laboure les champs de son inconscient, les champs de bataille comme les champs de fleurs, ceux de la jeunesse et de la maturité, nous invitant, à la croisée des sillons, à enrichir sa vision
et la nôtre, dans un dialogue esthétique sans cesse renouvelé.
Du Nord au Sud, de Montréal à La Havane, l’artiste nous livre une vision très personnelle, un regard unique et pourtant empreint d’universalité, une œuvre métissée et multiple, entre accents zen et expressions baroques, nordicité et exubérance tropicale, faisant écho à la diversité du monde. Dans ces lieux de rencontres et de révélations, de bouleversements maîtrisés, d’hommages pudiques à la fragilité de notre époque, les lignes s’apprivoisent, les textures s’animent et les couleurs parlent à voix haute, sans peur. Au carrefour des médias et des cultures, l’objectif posé sur le bord de ces espaces inattendus, André Boucher nous fait momentanément perdre pied dans une quête partagée d’équilibre et de beauté, nous invitant à recomposer les contours de notre propre réalité, à cultiver notre jardin et à ré enchanter le monde.
Épreuves du temps, qui sont autant d’incursions dans l’intimité de la matière et les replis du soi, un retour essentiel vers le primaire, le primitif, l’humain, dans une explosion de vie qui transcende les différences, bien au-delà des contours du cadre.
« IMPRINTS OF TIME » Between reality and imagination, macrocosm and microcosm, André Boucher invites us to a skin-deep, surface-skimming voyage. At the border of the perceptible, the organic becomes virtual, and the photograph becomes a painting. At the four corners of these brightly coloured oversize pictures, the eye runs, slides, bounces, dives and exults, looking for a path between the second and third dimensions, between the self and the world, trying desperately to penetrate the image.
Propelled by the acceleration of our society and the erosion of time, scorned urban surfaces become a centre of renewed interest, reincarnated by the magic of the artist’s glance that sublimates them and toys with our senses. With irony and tenderness, he reveals the neglected nooks and crannies of our environment that are exposed layer by layer to forcefully yet subtly bring us back to the very heart of the architectonics of our befogged city dwellers’ daily life. From aerial photographers we become, in one instant, archaeologists. Because it is in its details that the image is revealed. We must flush out the signs that are as many bridges between the artist’s populated dreamland universe, our subconscious, and reality that suddenly submerges us and topples our landmarks. We have no choice but to play the game and the only rule is to forget all rules. We must let the wild woman or man inside us regain control. Let ourselves slip into an instinctive feeling, an oceanic feeling. Concealed, repressed worlds are suddenly unfurled, taking life at the confluence of the beautiful and of the senses, at the crossroads of glances.
Light becomes the expression of the shade, creation becomes catharsis. Souls are born and reborn to merge at the heart of strangely familiar intimist or infinite spaces before deserting all forms of borders, in a mighty burst of laughter, thumbing their noses at all conventions. Because we must go all the way. Living, feeling before anything else, even before the words arrive, before links are established, before the somersault. Once the game is won, the “I” reasserts itself, things return to their rightful places, ideas settle down, an impression emerges, just before the first syllables, proclaiming a recovered humanity.
But certainty is often deceptive, and truth slips away leaving behind the illusion that lulls us to sleep, distorts us, weakens us, threatens us. Wavering between abstraction and representation, impressionism and automatism, André Boucher’s photography surprises despite itself, assumes a pictorial language that confuses us. It scoffs at limitations, time, art history and men to give them, in a blazing chromatic metaphor, the duty of vigilance. It scratches the superficial, autopsies the run of the mill, thinks beyond the evidence, sees beyond the conventional, the appropriate. Generously, the artist ploughs the fields of his subconscious, battlefields as well as flower fields, those of the youth and those of the mature, inviting us, where the furrows
cross, to enrich his vision and ours, in a continually renewed esthetic dialog.
From the North to the South, from Montréal to Havana, the artist offers us a very personal vision, an approach that is unique, yet tinged with universality, a heterogeneous, polychromic image, between accents of Zen and weird expressions, nordicity and tropical exuberance, echoing the world’s diversity. In these venues of meetings and revelations, controlled upheavals, discreet homages to the fragility of our age, lines become tame, textures come to life and colours raise their voices, fearlessly. At the crossroads of media and cultures, the lens rests on the edge of these unexpected spaces, for a second, André Boucher makes us lose our balance in a split quest for equilibrium and beauty, as he invites us to reset the contours of our own reality, cultivate our garden and re-bewitch the world. Imprints of Time, that are as many incursions in the privacy of matter and the twists and turns of the self, essential return to the primary, the primitive, the human, in an explosion of life that transcends all differences, well beyond the outlines of the picture.
texte : Christine Leroy
andreboucher.com