« LES OMBRES DE SOCRATE »
jusqu'au 15 oct | until Oct 15
lacastiglione.ca
L’économie carbure à l’obsolescence. Il suffit de quelques années pour qu’un produit de consommation jugé novateur à sa sortie devienne périmé et soit relégué aux oubliettes. La photographie, tant analogique que numérique, n’échappe pas à cette réalité. L’élimination des objets reliés à la prise de vue préoccupe Noémie da Silva qui s’est mise à les accumuler. Devant leur nombre croissant, vite devenu envahissant, elle a dû se résoudre à les photographier avant de s’en délester.
La visée n’était toutefois pas de produire des images fidèles aux objets mais d’en révéler d’autres facettes en jouant avec la lumière. Des ombres se sont ainsi greffées aux objets, leur donnant une forme étrange par le jeu des superpositions. Ce n’est plus tel filtre, tel télémètre ou tel adaptateur qui constitue le sujet de la photographie mais la relation entre l’objet et ses ombres portées. Imbriqués l’un dans l’autre, l’objet plein et l’espace en creux se soutiennent et se répondent pour devenir une nouvelle entité s’apparentant davantage au monde mystérieux des insectes.
Les spécimens sélectionnés sont les garants d’une collection qui pourrait être vaste et sans fin mais qui n’existe pas dans les faits. Contrairement au travail de l’entomologiste répertoriant différents types d’insectes, le projet de Noémie da Silva ne s’inscrit pas dans une volonté de constituer une véritable collection mais plutôt d’en rendre l’idée, chaque objet abandonné pouvant d’une manière ou d’une autre devenir un spécimen.
Les ombres de Socrate s’inscrit dans un questionnement sur nos perceptions. Entre ce que l’on voit et la réalité, il existe parfois un tel écart qu’il est difficile de discerner le vrai du faux. Les ombres portées des objets photographiés envahissent l’image et la contaminent. Dans l’allégorie de la caverne de Platon, Socrate considérait le monde sensible comme la prison de l’âme. L’amalgame du plein et du vide des photographies libère au contraire l’objet de sa matérialité pour le propulser avec ses ombres dans un ballet étrange et protéiforme. Papillon aux ailes déployées ? Pétales d’une fleur ? Voiles diaphanes d’un catamaran ? Qui sait ce qu’ils représentent au juste ? Socrate soutient que les hommes enchaînés dans les profondeurs de la terre n’attribueront de réalité qu’aux ombres des objets fabriqués. Appartenant à un passé plus ou moins récent, les objets et les documents que la logique capitaliste frappe d’obsolescence dans des délais toujours plus courts se réaniment aujourd’hui grâce aux ombres qui les entourent. Inscrits entre hier et aujourd’hui dans une double temporalité, ces objets subissent une métamorphose qui les sauvera peut-être de l’oubli auquel ils sont voués. C’est du moins le pari que fait Noémie da Silva.
Noémie da Silva travaille principalement le photomontage et l’installation. À partir d’images et d’objets trouvés, elle réorganise le réel en créant de petites mises en scènes qui questionnent notre rapport à la photographie et à ses jeux d’illusions.
Titulaire d’une maîtrise en arts visuels et médiatiques de l’UQÀM (2008) et d’un baccalauréat en beaux-arts, majeur en photographie, de l’Université Concordia (2005), Noémie a également reçu plusieurs distinctions (bourses du FQRSC et du CIAM; Prix Gabor Szilasi).
Son travail est représenté par la galerie La Castiglione et fait parti de collections privées et publiques dont celle de la Ville de Montréal. En 2012, elle cofonda le Cabinet, espace de production photographique, un centre d’artistes dédié à la production d’œuvres photographiques.
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.