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PATRICK BEAULIEU
« MÉANDRE »
Patrick Beaulieu, Méandre – Lac Champlain, 2015
C’est Pierre Sansot qui écrivait que la lenteur ne signifie pas « l’incapacité d’adopter une cadence plus rapide », mais plutôt la « volonté de ne pas brusquer le temps, de ne pas se laisser bousculer par lui » afin d’« augmenter notre capacité d’accueillir le monde et de ne pas nous oublier en chemin ». Cette posture semble au cœur de la quatrième trajectoire performative de Patrick Beaulieu, qui, à bord d’un Kayak, se rend jusqu’à l’embouchure du fleuve Hudson, à New York. Après la Dodge (Vegas), le Ford Ranger (Ventury) et le camion postal (Vecteur monarque), la petite embarcation de cèdre impose son rythme. Elle expose également davantage le voyageur aux aléas de la nature.
In 2014, Patrick Beaulieu, whose “performative trajectories” have led him to follow the American winds (Ventury, 2010) and the migration of monarch butterflies (Monarch Vector, 2007), embarked on a poetic meandering voyage in his handmade cedar kayak. Beaulieu surrendered to the ebbs and flows of the world by drifting from the source of the Missisquoi river in Quebec to the mouth of the Hudson River in New York.
KARINE PAYETTE
« DE PART ET D’AUTRE »
Karine Payette, Entre nous, 2016
Karine Payette place l’ambivalence et l’entre-deux au centre de ses œuvres. Ces espaces intermédiaires se traduisent par la réalisation de mises en scène au naturel ambigu où interagissent des sujets et des objets à des moments figés dans le temps, laissant entrevoir un avant et un après. Son univers singulier, où s’entremêlent le réel et l’imaginaire, se rattache au banal et au quotidien et constitue une porte d’entrée vers une multitude d’interprétations.
It’s Saturday night and Karine Payette is in her studio. We meander into a conversation about the dog she used to have and her soft spot for German shepherds, an intensely obedient and loyal breed in a deceivingly wolf-like package. Payette’s most recent series of photographs, sculptures and video work seem to speak directly to this preoccupation with the multifaceted nature of human-animal relationships—the dialogues of control, intimacy, violence and domestication that subtly take place on an interspecies level.
JUDITH BERRY
« EXCURSION »
Peu après mon arrivée au studio de Judith Berry, entouré des œuvres qui composent maintenant l’exposition Excursion, le récit des déplacements de l’artiste d’un bout à l’autre du Canada monopolise toute mon attention. Née à London et élevée à Saskatoon, Berry déménage à Halifax vers l’âge de vingt ans pour étudier au Nova Scotia College of Art and Design, avant de passer un an dans les Rocheuses au Banff Centre. Cette expérience de mouvement, de passage, de voyage, m’explique-t-elle, imprègne naturellement sa démarche artistique, mais caractérise aussi la logique derrière la présente exposition.
It’s strange to look at a high definition photograph of red blood cells. They appear otherworldly and supple, formal and punctuated: so different in shape than the contours of typical materials perceivable by the human eye. And yet, to us blood is typically very formless and ordinary, a simple necessity of mammalian life. There’s a similar strangeness in looking at microscopic images of skin—they are by turns rugged, bleak landscapes and expanses of whirling, layered tides that could easily pass for satellite images of the ocean’s undulating movements.
COLLEEN WOLSTENHOLME
« HYPEROBJECTS »
Colleen Wolstenholme, Sans titre, 2015
« Je m’inspire de systèmes agissant ensemble dans notre expérience humaine, pour créer de plus grands systèmes » . Colleen Wolstenholme traite de sujets ayant une relation de cause à effet qu’elle appelle « systèmes groupés ». Les plus grands de ceux-ci, par exemple celui du réchauffement climatique, opèrent selon leurs paramètres internes.
In Hyperobjects, Nova Scotia-based artist Colleen Wolstenholme presents works that developed from her earlier drawings of brain cell patterns and her interest in the way consciousness emerges from physical formations in the brain. While philosophers and scientists have persistently pondered the nature of consciousness, some have questioned whether our most private and qualitative experiences of the world could ever be explained by neural oscillations in the cerebral cortex.
PATRICK BEAULIEU
Le point de départ : la source de la rivière Missisquoi, en Estrie. De là, il naviguera un mois, captant ce qu’il appelle les Points de confluence sous forme de vidéos. Ceux-ci représentent moins l’unification de deux cours d’eau que ces lieux où la construction humaine et la nature s’unissent pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur, c’est l’effet esthétique qui en émerge, la poésie. Au rythme des vaguelettes, du courant et des sons de voitures, l’artiste fait voir la beauté insolite d’une imbrication entre l’autoroute 10 et la rivière. Cette dernière apparait paisible, comme en retrait du monde. Pourtant, elle n’y échappe pas, à ce monde : il la traverse, l’encadre, la reconfigure. Ainsi, on ne saurait omettre de voir aussi le pire, c’est-à-dire, l’étiolement progressif de l’environnement naturel.
Les vidéos témoignent du passage de l’artiste dans des lieux transitoires qui deviennent tout à coup propices à la contemplation, au regard singulier. Elles évoquent aussi l’ancrage des êtres humains sur les rives, par exemple, sur celles de McDonald Creek. Les maisons et les RV défilent sous nos yeux, dans une lumière et un silence qui ressemblent à ceux des petites heures du matin. Le monde est endormi, mais le cours d’eau continue son mouvement vers la mer, tel que nous l’évoque son bruissement incessant.
Le hamac, le brûleur et le bol de gruau sont mis en scène, transfigurant pour la galerie le lieu éphémère du campeur. L’embarcation s’y retrouve aussi. Porter par un mouvement de chavirement perpétuel, elle exprime le danger auquel tout navigateur, même celui qui s’adonne à la lenteur, s’expose irrémédiablement. C’est du moins l’impression que vient renforcer un chaudron rempli de son eau trouble.
Quiconque s’est déjà aventuré sur les eaux pour une longue durée sait que les pagaies ne sont jamais tout à fait silencieuses. Celles de Patrick Beaulieu sont animées d’une voix féminine, à la fois instructive et poétique. Elles peuvent aussi bien indiquer l’imminence de la venue des marées que transmettre des proverbes. Gauche, droite; raison, imagination : la cadence génère un univers hétéroclite dans l’esprit de celui qui manie les pagaies en solitaire, jour après jour.
Méandre comporte plusieurs strates qu’on ne peut découvrir qu’en acceptant une lenteur, celle qui est au cœur de la démarche même de l’artiste. Par cette lenteur, c’est « la vie elle-même comme ondoiement, comme déploiement » qui fait surface.
- Paule Mackrous
- Pierre Sansot (2000), Du bon usage de la lenteur, Paris, Payot, p.12.
- Ibid, p.14.
While submarines and cargo ships map out their trajectories with electronic navigation devices and complex passage planning, Beaulieu’s Meander embraced slowness and loss of control and followed the fluid current that runs between seemingly stable land masses. The artist chose to follow the Missisquoi river due to the water current’s slowness and the fact that the body of water has a history of being used as a navigation tool by First Nations peoples. Beaulieu spent 30 days drifting on the sky-dyed waters, stopping to hang his hammock for the night. Following the water’s current, the artist found contentment in the slowness and the state of abandon with which he navigated as the journey allowed for a meditative experience and an exercise of attention.
Floating on the water and renouncing volition, certainty and action, Beaulieu’s trip threatened to slowly erode the seemingly stable ideas we have of freedom, self, and space. Surrendering to the forces of nature, Beaulieu’s Meander embraced a particular kind of passivity and non-action that gives rise to new definitions and experiences of freedom. Indeed, the artist’s absurd voyage echoes Albert Camus’s idea that freedom can only exist in the recognition of the absurdity of existence, in recognizing that the current will take you where it wants to. By accepting the possibility of tipping over and loosing balance, and by choosing to follow the water, Beaulieu’s Meander exercises a freedom that is in tune with the subtle currents of the world and powers greater than us.
Beaulieu’s journey may remind us of Bas Jan Ader’s 1975 transatlantic sailing voyage In Search of the Miraculous, during which the artist mysteriously vanished to a space both unmapped and irrational. Like Ader, who departed from Cape Cod with a camera and tape recorder, Beaulieu set out to record his trip with a GoPro camera. Pushed by the force of the water under his canoe, Beaulieu recorded the pace of being adrift. Relinquishing his artistic authority to the waves, Beaulieu set up a fixed camera that filmed short videos of his voyage, the sway of the canoe working to compose the images.
In his exhibition at Art Mûr, Beaulieu shares his experiences through photographs, a series of short videos titled Points of Confluence, and animated sculptures that act as vestiges of his time on the water. A perpetually rocking cedar kayak, a spastic hammock, a cauldron containing a whirlpool, two whispering cedar paddles, a flashlight revealing lunar cycles, and a burnt bowl of oatmeal are among the objects exhibited.
Floating, drifting, and meandering from Quebec to New York, the artist travelled aimlessly, letting the current take him. Nonetheless, Patrick Beaulieu’s voyage was not an aimless one: as the water’s natural forces eroded the ordering concepts of departure and arrival, beginning and end, the artist’s destination was much greater than any point on a map.
- Isabelle Lynch
KARINE PAYETTE
Son plus récent corpus, intitulé De part et d’autre, renvoie à la dualité des rapports humains-animaux. Variables en fonction des époques, des contextes et des lieux, les relations anthropozoologiques servent au sein de cette exposition d’archétypes pour représenter les rapports pluriels qu’entretient l’humain avec les animaux, et par extension, avec l’Autre.
Tour à tour, les œuvres rassemblées soulèvent des réflexions éthiques sur nos interactions avec les animaux domestiques et tout particulièrement sur la vision anthropomorphique et narcissique, ainsi que la manière utilitariste de penser la relation à l’animal. Représenté comme s’il s’agissait d’une capture d’image, Pavlov reproduit une tête de chien dont une paire de mains tente, par la manipulation de ses babines, de le faire sourire. Réalisée de manière hyperréaliste, cette scène un peu saugrenue questionne l’une des grandes différences entre l’humain et l’animal : l’action de sourire. Le sourire joue un rôle social important, il peut être joyeux, sympathique, ironique ou bien moqueur et contrairement à la crainte, la peur ou la menace, cette mimique est propre à l’homme.
Cette humanisation de l’animal et la perte de son animalité sont également palpables dans l’œuvre De part et d’autre qui montre à voir une jeune femme avec un haut à capuchon rouge embrassant un chien-loup. Cette scène intrigante marque la relation de proximité, d’alter ego et de substitut humain dont l’animal est souvent affublé. À l’opposé, Canevas exhibe davantage l’animal comme un faire-valoir, un accessoire et un bien meuble dont il est parfois l’objet. Parallèlement à ces conceptions, L’Être aux aguets aborde la relation de domination et de subordination par la représentation d’un berger allemand lors d’une séance de dressage. Le maitre se situe en dehors du cadrage et c’est seulement la voix directive qui est entendue et qui ordonne au chien d’enchainer une suite de mouvements imposés, pointant de ce fait l’aliénation, l’assujettissement et le lien de dépendance du chien à son maitre.
Dans son univers surprenant et inquiétant, Karine Payette étudie ce qui se situe dans les marges, les creux et les replis. Les différentes nuances qui teintent les relations paradoxales entre l’humain et l’animal sont révélatrices des diverses attitudes humaines envers l’environnement social et naturel. L’exposition pense en termes de dualité, mais également en termes d’hybridité et de réciprocité, comme le démontrent les photographies saisissantes de la série Entre nous qui capturent sur un fond blanc l’interpénétration entre l’espèce humaine et l’espèce animale, mettant à jour la mutabilité des frontières. Comme l’ensemble des réalisations de Karine Payette, De part et d’autre témoigne de sa fascination pour le vivant et la représentation du corps, ainsi que de son intérêt pour les notions d’identité et d’altérité.
- Anne Philippon
Her workspace is part laboratory, part prop closet—a bowl of fur sits not far from her computer. Somehow in this bright, open, chemical-clean scented room, Payette conjures wildness. We are taken to a strange place, the borderlands of interspecies mingling. At one extreme of the animal-human dynamics scale is the stalwart compliance of a professionally trained German shepherd who responds to commands with robotic precision. Here, power is comfortably held by an off-screen voice, animality pacified by a set of linguistic prompts. At the other end of the scale is a sculpture of a human figure clad in red, sharing a languorous kiss with a wolf. The story of Little Red Riding Hood is immediately called to mind, except that here our hooded protagonist seems to have bailed on grandmother’s orders, instead opting for a forest floor make-out with her canine stalker. This taboo mise-en-scène is a brazen inquiry into the boundaries we maintain with our animal counterparts. Its scale and three-dimensionality contribute to a feeling of immersion that the artist has been courting with her work for the past several years. It feels as though you’ve just walked in on something: you are implicated and your discomfort is like an invisible mist that coats these inanimate beings.
Elsewhere in Payette’s suite of anthropomorphic works, the demarcation between species grows even fainter. A photographic series depicts the slow encroachment of fur, scales and feathers on human skin—a striking process of contamination facilitated by touch. The fusion of flesh, charcoal cat fur and a pale silky dress in one of the photographs speaks to the deft textural play that characterizes Payette’s practice.
The imagery in Entre-Nous is otherworldly, borrowing from dark fairy tales, science fiction, nightmares; all things feral are plucked from their contexts and uncomfortably domesticated. Humanness is also askew. Disembodied silicon arms recall that childhood moment of misrecognition when dolls and figurines were so close to being real, save for their unnatural, rubbery skin and sterile, manufactured smell. The surreal and hyperreal collide, but the illusion is so precise that it often spurs a double take. Payette’s commitment to creating this illusion is observable—she shows me some of the “flesh” options she’s been experimenting with, lifting up a translucent slice of silicon that looks thinner than tissue paper.
The hybrid scenarios in this exhibition are alternatingly menacing and intensely intimate, mimicking the ingredients of human-animal connection. Bridging the species divide is unpredictable but necessary, always requiring some combination of risk and trust. Entre-Nous, or between us, there are common cells, common emotions, common drives. Payette’s series holds a distorted magnifying glass to the exact moment of fissure, the precise point at which we delineate our differences.
- Nancy Webb
JUDITH BERRY
Le mot « excursion » est aussi commun en anglais qu’en français, note Berry. En anglais, il peut référer à la fois à un court et agréable voyage, au déplacement d’un objet le long d’un chemin, ou encore à une déviation du cours régulier des choses. En français, le mot peut aussi signifier une irruption guerrière en territoire ennemi, le mouvement d’une chose hors de sa position de repos, ou même une digression. Si le terme compte autant de définitions, cette diversité se reflète tout autant dans la profondeur du corpus exposé et ses multiples facettes.
Les œuvres de Berry sont d’abord des excursions dans les espaces extérieurs qui l’inspirent. « Mes tableaux sont avant tout des paysages », affirme l’artiste. Que ce soit dans ses triptyques ou ses toiles seules, dans Wreckage (2013), Insomnia (2014) ou Some Thoughts (2015), elle évoque subtilement les motifs végétaux et organiques qui composent notre environnement. Dans l’œuvre Saskatchewan, par exemple, ces thèmes sont rendus abstraits au point où ils rappellent l’univers magique du surréalisme, avec ses formes géométriques flottantes et son absence de référents clairs. Mais rapidement, la palette terreuse de la toile et les blocs sinueux répétitifs qui la composent renvoient aux paysages striés des Prairies canadiennes. D’une certaine manière, l’œuvre de Berry est donc une invitation poétique à explorer le passé de l’artiste elle-même.
Si les œuvres présentées dans Excursion sont certes des paysages, Berry souligne qu’elles « ne se dressent pas souvent d’herbes, d’arbres, ou d’eau ». Ces paysages, en un sens, n’en sont pas vraiment, si on s’attend d’eux qu’ils soient fixes ou purement figuratifs. « Le sol est un élément peu fiable pris dans l’effervescence de son auto-transformation », affirme l’artiste. Autrement dit, l’impression de mouvement qui se dégage de l’œuvre défie le poids et la solidité apparente des objets représentés. En ce sens, le terme « excursion » caractérise aussi bien l’expérience qu’en fait le spectateur. L’incertitude de l’échelle, l’oscillation entre figuration et abstraction, la texture qui construit et déconstruit tour à tour l’image : toutes sont des stratégies employées par Berry afin d’encourager le spectateur à interroger l’image à laquelle il fait face. Au bout du compte, l’excursion n’est alors pas seulement celle dans le paysage et le souvenir ; c’en est aussi une à travers la nature même de la représentation.
- Vincent Marquis
The visual disorientation experienced when looking at such images of these tiny worlds is perhaps caused by the dissolution of abstraction that occurs when the microscopic is made macro, when the abstract is suddenly transformed into the figurative. Such a tensile metamorphosis between abstraction and figuration is at work in Judith Berry’s precise yet whimsical paintings.
Berry’s practice is engendered by a surrealist impulse that transforms landscapes and tableaux into otherworldly topographies. In earlier works, natural vistas are folded and unfurled in unusual arrangements; in these paintings, idyllic hills are comprised of upright rolls of sod, unravelling at the ends, and lush shrubbery is transformed into bushy figures, whose gaits mimic the innumerable lounging nudes of canonical art history. In some instances these figures dance and brawl, bacchanalian-like, in a field or vomit red fire in strict, angular trajectories. In other works still, the calculated and precise landscaping of human-made gardens is made dreamlike through Berry’s imaginative interpretations: hedges become tunnels leading to some unknown destination outside of the frame and classical architectural adornments are precise grassy structures here. In all of these, there is the quintessentially surrealist oscillation between the familiar feeling strange, and inversely, the strange feeling familiar.
Berry’s most recent series of works, a selection of which will be shown in Excursions, follows this trajectory. In palettes of vibrant yellows and greens, the paintings in this series reside somewhere in a murky fissure between abstraction and figuration. In Insomnia, complex tubular backdrops create a shallow, yet complex landscape. Amorphous, geometric forms pepper its surface. In Sleep Triptych, a similar pipe-like backdrop contorts into what might be perceived as a singularity, a black hole. Crouched figures populate this sinewy plateau, and tiny non-descript circular windows float above it. A play on the diverse meanings of the word excursion, the paintings evoke at once an adventure, an adhered-to route, or a divergence from a pathway—all definitions that suit their compositional nature. While Berry describes this series as more mechanical than organic, I would argue that the works herein expose an imagined mechanics of the organic—like the strange contours of blood cells or the rough precipices of our perceived-as-smooth skin, when respectively imaged microscopically. Somewhere in the twilight of representation, these paintings speculate upon worlds unseen.
- Natasha Chaykowski
COLLEEN WOLSTENHOLME
Les œuvres de la série Shifty Packets exposées en 2013, des systèmes dessinés à l’encre de couleur, exploraient le thème de la conscience humaine. Wolstenholme tentait une analyse syntaxique de cet élément métaphysique en lui donnant l’apparence d’un réseau de cellules : « je faisais ces dessins utilisant des grilles improvisées et peu structurées » . À travers Hyperobjets, elle extrapole ce même principe de grilles improvisées, basées sur la géométrie triangulaire et hexagonale.
« [Les Hyperobjets] désignent des choses ou des phénomènes, par exemple, le réchauffement climatique, qui révèlent notre impuissance et dépassent nos catégories habituelles » .
Il s’agit donc d’objets représentant des systèmes qui ne peuvent pas être dominés par l’humain, mais au sein desquels il évolue.
Reprenons l’exemple du mouvement météorologique, ici questionné par l’artiste. La météo est liée aux champs électromagnétiques de la terre, un système à échelle planétaire qui n’est pas encore entièrement expliqué par la science, et sur lequel nous avons peu de contrôle. Nos actions peuvent néanmoins avoir des conséquences imprévisibles sur ce système, et nous pourrions ensuite en subir des répercussions.
Ainsi, en récupérant l’idée de réseaux bidimensionnels mis en place dans la série Shifty Packets, Colleen Wolstenholme réalise des sculptures à travers lesquelles elle tente d’aborder le système immense qu’est le réchauffement climatique. En le présentant à l’échelle humaine, elle le rend plus préhensile au spectateur.
Dans Hyperobjects, comme dans Shifty Packets, chaque forme géométrique du réseau donne la sensation de découler de la précédente, et toutes se répartissent autour d’un point départ qui constitue le centre de la structure. Cette fois, par contre, le sujet d’étude s’étend tridimensionnellement pour inclure l’espace terrestre. Le but de l’artiste, à travers ces sculptures, est de révéler cet immense système comme entité. Quant au dessin 55.68’S, 171.40’W; 225’@29km/h; 5.9’C; 05/06/15, il est inspiré d’une carte animée des vents terrestres. Les lignes principales proviennent de la carte du 5 juin 2015, que l’artiste a complété de façon improvisée jusqu’à ce que la feuille soit entièrement remplie.
Autant dans les sculptures que dans les œuvres sur papier, les réseaux de lignes et de formes au sein des représentations systémiques semblent s’animer sous nos yeux. À travers ces illusions d’optique, Colleen Wolstenholme nous permet saisir une réalité impalpable.
- Cléa Calderoni
- Entrevue avec Colleen Wolstenholme, 18 novembre 2015, traduction libre.
- Ibid.
- Antoine Rogé, « Les hypersobjets », dans Philosophie, n° 78, avril 2014, p. 62.
Carried by the current of her interest in the puzzling problem of consciousness, Wolstenholme’s most recent work is an attempt to grasp complex configurations that elude total comprehension.
As a member of the object-oriented philosophy movement, Timothy Morton defines hyperobjects as “things that are massively distributed in time and space relative to humans,” systems and undetectable forces that have a real and powerful effect on our world. We might notice manifestations of their constellations, but hyperobjects ultimately challenge the assumption that humans can stand outside, transcend or master all systems and objects in the world.
Wolstenholme’s drawings of wind patterns are complex assemblages that imply larger systems and entanglements that point to the inadequacy of human attempts at knowing and understanding. Blowing over hills and escarpments, or tracing the flows and speeds of gusts of wind, Wolstenholme’s lines are derived from the codes and relations of a found Earth wind map that unfurls data on global wind conditions in real-time. The coordinates and patterns of breezes, violent currents or blizzards delineated on the found map function as algorithms that Wolstenholme translates into immense drawings.
Coloured lines signal temperature shifts, which change and recur with the predictability of strong winds pummeling a coast. The steady direction and speed of winds undulate on Wolstenholme’s maps like the ridgelines of dunes in the desert. While the titles of her wind map drawings describe precise geographical coordinates, they also pinpoint the sways of larger systems and entanglements. Curves and funnel-shaped vortexes that may signal the location of violently rotating winds are also attuned to the movements of vast patterns.
Wolstenholme also explores the relation between parts and wholes in welded steel geometric sculptures, works that can be configured and reconfigured in different formations. Steel triangles or hexagonals articulate grid patterns; like the connecting threads of an entangling mesh, the adjoining shapes are arranged into interconnected networks. Wolstenholme creates and reconstructs her steal sculptures extemporaneously, like a jazz musician may improvise with melodies, rhythms and harmonies. Rather than improvising or departing from a musical notation system, Wolstenholme establishes rules, such as selecting a form or materials that allow her sculptures to execute themselves. These assemblages do not form closed systems, but are continually being revised and enter into different relations with one another. The steel works are coated with layers of powder that glows in the dark, which allows the systems of connections that usually remain invisible to emit light and be perceived without a light source.
- Sophie Lynch
- Timothy Morton, Hyperobjects: Philosophy and Ecology after the End of the World, (Minneapolis, MN: The University of Minnesota Press, 2013), 1.
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