Les mondes épars de Stéphane Gilot
Du dessin aux œuvres monumentales, du son à la performance filmée, Stéphane Gilot est un artiste de terrain. Son atelier montréalais n’est que la partie visible d’un iceberg qui laisse poindre une création mobilisée dans des lieux toujours nouveaux.
photos : Stéphane Gilot
Dans l’atelier de Stéphane Gilot, quelques dessins, une bibliothèque et des caisses entreposées. Sous son vide apparent, le lieu de travail cache bien son jeu car, en 2015, l’artiste est hors-les-murs. Ses installations toujours pensées in situ deviennent paradoxalement migratoires, délocalisant l’artiste avec elles : l’œuvre « Pièce pour cinq interprètes, lumière rose et silence » créée à l’origine pour l’espace pfoac221 à Montréal prendra temporairement racine à Cuba pour la XIIème Biennale de La Havane en mai; le Musée de Joliette accueille l’artiste depuis près de trois ans pour intervenir tout au long de son projet de rénovation. Selon lui, l’œuvre est un atelier tout comme le musée ou la galerie, lui permettant de rester inachevée et d’expérimenter en donnant un rôle plus important au spectateur devenu participant.
Les mondes de Stéphane Gilot se dispersent dans des géographies différentes, mais elles sont aussi des œuvres attentives au temps. Pour « l’œuvre-bunker » qui sera présentée à Cuba, l’artiste a réinterprété dans une série de 21 dessins les tableaux du XIXe siècle découverts dans les musées de La Havane. Poursuivant la figure historique de l’artiste voyageur, il superpose de nouvelles strates temporelles en mettant en scène son module architectural moderniste dans des paysages à l’exotisme passé.
Sa création est nourrie de concepts littéraires, de théories sociétales et architecturales où les « utopies échouées dans la réalité » ne sont jamais loin. Le travail presque invisible dans l’atelier parait nécessairement écartelé : s’il se disperse dans un grand nombre de dessins, il bascule ensuite sans demi-mesure dans la construction concrète et le grand format. L’artiste entreprend d’ambitieuses constructions de modules qui exigent une logistique complexe de par leurs dimensions. Elles laissent l’atelier orphelin puisqu’il devient trop petit pour accueillir ces pièces construites dans de vastes entrepôts temporaires ou assemblées directement dans la galerie. À Joliette, l’édifice du musée n’est plus seulement le lieu d’assemblage d’œuvres in situ, mais une extension de l’atelier en même tant que le sujet même de l’œuvre. Incluant sa collection, ses espaces cachés du public, les strates historiques de différentes époques et le musée en devenir, il en a fait un atelier vivant qui évolue avec les travaux et devient un lieu de tournage de performances ou de fabrication d’une sculpture gigantesque.
Dans l’atelier montréalais subsistent quelques « variations » fantasmées de l’œuvre et des notes sur papier. Une série de dessins superposent des calques, à la manière d’un outil archaïque mimant Photoshop et réinvente ainsi les temps d’un musée où « plusieurs périodes, plusieurs possibles se retrouvent sur la même surface ». L’hétérotopie décrite par Michel Foucault comme ces espaces concrets qui hébergent l'imaginaire est plus que jamais au cœur de la réflexion de Stéphane Gilot. Du Musée de Joliette, l’artiste réinvestit jusqu’aux pages du livre sur sa collection pour en faire son journal de travail. Faire du musée son atelier, c’est aussi intégrer son discours et ses outils scientifiques pour entremêler le lieu, l’expérience et le regard critique. L’artiste y poursuit l’idée du Corbusier d’un musée « à croissance illimitée » et d’une architecture qui incorpore la ville pour donner tout son sens au musée comme espace hétérotopique où pourrait se greffer l’imaginaire de chacun.
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