Sur le fil de l’eau
Poursuivant une série de visites d’atelier, ce texte invite à une immersion dans un lieu à la suite d’un artiste et de ses recoins de création. Plutôt qu’une analyse ou une approche critique, il se veut un partage des affinités et des surprises rencontrées avec des artistes en passant la porte de leur atelier.
photos : Maryse Goudreau
Maryse Goudreau a les pieds et les yeux en Gaspésie. Photographe d’origine gaspésienne, ce territoire est le point de départ et le réceptacle de ses œuvres, s’infiltrant partout dans sa création sous la forme de paysages, d’archives, de projets participatifs qui donnent le dernier mot aux habitants des villages gaspésiens.
Artiste migratoire, elle partage aussi son temps entre son atelier collectif à l’université Concordia et son atelier à Escuminac : « Je suis mobile. Ma traversée du paysage de Montréal vers la Gaspésie a lieu environ 8 fois par année. Je travaille mes idées en traversant le Québec, pour qu’à mon arrivée tout déboule ». L’enracinement de sa création fait face à la nécessité de construire son travail en circulant d’un bout à l’autre de réalités artistiques, entre l’isolement d’une cabane où « je m’éloigne du vertigineux tourbillon numérique pour me concentrer sur la transmission » et la centralisation artistique et étudiante de Montréal. À cette migration pendulaire à deux temps, elle insère toutefois d’autres temps et d’autres lieux lors de ses projets in situ comme Manifestation pour la mémoire des quais ou Les Drapeaux (Miguasha) qui l’ont menée sur les quais menacés de fermeture autour de la Gaspésie. Elle y dressait des drapeaux ou invitait les habitants à un rassemblement sur le quai, le temps d’une photographie utilisant un dispositif archaïque au collodion humide particulièrement fragile.
De l’histoire des quais à celle des bélugas qu’elle explore aujourd’hui, Maryse Goudreau fait de la précarité la matière première de son travail. Son engagement face aux réalités économiques et écologiques de la Gaspésie se situe davantage dans une attention à la fragilité plutôt que dans une dénonciation faite d’images immédiates et ostentatoires. Dans son atelier montréalais, les photographies ont toutes quelque chose de vulnérable, même si elles ne sont plus désormais aussi fragiles que les plaques de verre utilisées pour Manifestation pour la mémoire des quais qui se brisaient par accident. Certaines d’entre elles, de petites vignettes servant à l’identification des bélugas semblent être des reliques scientifiques protégées du regard par des enveloppes. D’autres présentent les fragiles motifs qui animent la surface de l’eau du fleuve : ici, c’est l’image insaisissable qui révèle la vulnérabilité d’un sujet photographique fuyant et du contexte humain auquel il fait référence.
À côté de ces motifs abstraits, Maryse Goudreau a rassemblé ses dernières recherches pour lesquelles elle a extrait des images d’archives noir et blanc qui documentent les massacres de bélugas à partir des années 1920. La photographie d’archive traverse sa création, à la manière d’une histoire à rejouer en permanence pour se l’approprier. Les photographies s’assemblent, se superposent et se combinent en série là où l’artiste rappelle qu’elle fait aussi face à un vide photographique : de la Gaspésie, il existe peu de documentation historique de ses activités et de ses géographies quotidiennes au delà des clichés pris par les touristes, principalement américains. Ce sont d’ailleurs leur regard qui sont la matière première de la vidéo montrée timidement dans une petite pièce de l’atelier, une simple boucle de films trouvés qui reconstitue le tour de la côte gaspésienne saisie depuis la route par des touristes. Maryse Goudreau travaille chaque image à rebours du folklore et des menaces de délitement social et écologique de la Gaspésie : ici comme dans le montage d’archives, la photographie veut s’armer.
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.