Passer la porte de l’univers des frères Jake et Dinos Chapman est exigeant. Leurs œuvres mordent, grincent, irritent, attaquent sans relâche. Loin de l’invitation, Come and See - le titre de l’exposition à DHC - est davantage un ordre sans détour : « viens et vois ». Il nous ordonne de faire face à ces vitrines qui racontent l’horreur et l’absurde à la fois.
Jake and Dinos Chapman, Shitrospective, 2009
Toutes les photos : avec la permission de DHC/ART Fondation pour l'art contemporain. Photos : Richard-Max Tremblay
À la suite du titre, les œuvres présentées ne prennent que très peu de détour pour s’attaquer à « la moralité, la religion, le sexe, la philosophie, l’histoire de l’art et la société de consommation » selon une vision programmatique élaborée depuis les années 1990 par les frères Chapman. Les artistes s’attaquent donc et ce, sans restriction ni ordre d’importance, à Dieu et Ronald MacDonald, au colonialisme, au puritanisme, au Ku Klux Kan, à la guerre, à la mort, à leur naissance ou à leur école d’art.
Jake and Dinos Chapman, I felt insecure, 2008
Leur rétrospective à DHC prend des allures de machine incendiaire qui veut autant crucifier le symbole du capitalisme que détourner des portraits de famille, clouer des cerveaux et envahir le monde à grand renfort de zombies. La création des frères Chapman est une vaste machine, une « interface expérimentale avec le monde » selon eux, et les murs de DHC semblent bien étroits et bien sages pour accueillir tout le chaos de leur monde. On y retrouve donc sans surprise un certain ordre car après tout une rétrospective se doit d’organiser, rétrospectivement, le chaos du duo. Cependant, Come and See passe quelque peu à côté de l’exercice puisque une grande partie de l’exposition est consacrée aux œuvres récentes de la série Hell, des vitrines renfermant des dioramas peuplés de charniers et de soldats nazis, ainsi que plusieurs huiles sur toile de 2013.
Jake and Dinos Chapman, Dinosaur, 1969
Jake and Dinos Chapman, Archival Work, 1971-2013 (arrière plan)
La véritable rétrospective se tient au dernier étage de DHC qui offre à lui seul la synthèse et le regard transversal attendu. Shitrospective reprend en format réduit de cartons peints les œuvres des frères Chapman dont plusieurs sont présentées ailleurs dans le parcours. Leur matériau fragile et imparfait en font des œuvres loin de toute considération esthétique classique, mais plutôt des œuvres laissées dans un entre-deux entre la création enfantine et spontanée, la maquette et le détournement critique des beaux-arts. Les artistes y composent une vision encyclopédique de leur propre monde où les dinosaures ont droit de citer autant que le sexe, mobilisant des images grotesques et des croisements surréalistes pour réinventer le genre de la rétrospective.
Jake and Dinos Chapman, Kino Klub, 2013
L’ensemble de l’exposition repose encore trop sur une satire évidente du capitalisme et du pouvoir. Passé la lourdeur de scènes qui prêchent aux convertis, un humour reste présent dans la présence étrange de ces mannequins costumés en toge du Ku Klux Kan que l’on peut observer regarder les œuvres, mimant nos propres gestes de visiteurs. Ces spectateurs envahissants font obstacles à notre regard et à notre consommation aveugle de biens culturels. Ils culminent en une foule dense dans l’une des salles construite comme un musée fictif des frères Chapman avec un accrochage serré de dessins enfantins, d’esquisses et de sculptures familières de leur univers. Ces créatures renvoient à la solitude du visiteur dans le confort habituel du musée : remplacé dans son propre rôle, le visiteur se retrouve exclu de cette mascarade. L’exposition trouve ainsi un recours salutaire dans ces mannequins, qui deviennent le fragile fil conducteur d’une exposition qui se perd dans son propos, à trop vouloir rire de tout et rien à la fois.
Jake and Dinos Chapman, I felt insecure, 2008
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