L’exposition Retour à Paradis Lost inaugure le nouvel espace d’Optica avec une vision désenchantée du paradis, orchestrée par l’artiste montréalais Mathieu Latulippe.
Mathieu Latulippe, Paradise Island, impression numérique jet d'encre sur papier archive hahnemühle, 90 x 120 cm, 2014, permission de l’artiste
Avec Retour à Paradise Lost, Mathieu Latulippe retravaille avec humour notre quête de bonheur à travers une dizaine d’œuvres créées pour l’exposition : une série de sculptures à l’échelle miniature, chère au travail de l’artiste; quatre photographies sagement intercalées sur les murs; une vidéo dont l’imposante trame sonore s’échappe d’un nichoir; un panneau de bienvenue, à l’entrée de l’exposition; une structure géométrique, étrange évocation d’un Sol Le Witt abandonné aux oiseaux. Cet inventaire à la Prévert raconte l’histoire de nos visions d’idéal passées à travers le prisme du cinéma, d’architectes ou de clichés communs de confort social.
Mathieu Latulippe, vue de l'exposition, Retour à Paradise Lost, 2014, permission de l’artiste, photo : Richard-Max Tremblay
Artiste du merveilleux, de l’imaginaire méticuleux et de la métaphore miniature, Mathieu Latulippe est aussi un artiste du banal grinçant. Si ses œuvres traversent le réel, elles ne s’y attardent pas longtemps pour venir s’installer dans les images de paradis implantés au plus profond de notre mémoire collective.
Mathieu Latulippe, La chute, impression jet d'encre sur papier hahnemühle, 57 x 85 cm, 2013, permission de l’artiste
Ces visions de bonheur sont toujours trompeuses. Elles sont puisées dans les premières scènes de films d’anthologie, allant de Godzilla à la Nuit des Morts Vivants et bercées en arrière plan par de nombreuses théories sociales incluant l’architecte Le Corbusier et le philosophe Jean-Jacques Rousseau.
Si l’artiste nous amène dans la nature par la porte du sublime, projeté par l’homme à grand renfort d’horizons romantiques et de stéréotypes de la vie sauvage, c’est pour mieux pointer les codes qui conditionnent nos idéaux de nature.
Mathieu Latulippe, Baby blues, matériaux mixtes, 50 x 50 x 70 cm, 2014, permission de l’artiste
Entre illusion et désillusion, entre imaginaire et banal, deux niveaux de réel surgissent de ces œuvres qui ne peuvent qu’être ambigües. Les utopies racontées par Mathieu Latulippe en images à la fois simples et référencées, deviennent de fragiles désirs ne tenant qu’à un fil. La catastrophe n’est jamais loin. L’artiste se plait à tisser des visions idéales dans certaines œuvres et à les détruire littéralement dans d’autres. Les codes sociaux, associés au confort de la vie moderne de la banlieue ou de gratte-ciel futuristes sont pointés et égratignés par petites touches de destructions cinglantes. À l’image des oiseaux attaquant à coup de guano géant une voiture stationnée ou un jeu pour enfant, d’un œuf géant s’écrasant sur un bâtiment, l’artiste se plaît à composer des tableaux de désillusions. Tableaux ouverts plutôt que récits, Retour à Paradise Lost est une histoire sans fin, mais trop écourté à Optica, où l’accidentel remet l’utopie à sa place.
Mathieu Latulippe, Monument [La petite maison dans la vallée], matériaux mixtes, 40 x 60 x 50 cm, 2013, permission de l’artiste
Dans la galerie, les œuvres sont quelque peu scindées en deux parties, entre une première section où des formes modernes et inventions humaines cohabitent tandis qu’une section se dessine à l’arrière autour de paysages naturels. Sans opérer de schisme radical entre culture et nature, cette division est rendue sensible dans l’espace et rend davantage statiques les allers et venues que poursuit l’artiste entre utopies modernistes et retour à l’état de nature revendiqué par Rousseau. L’accrochage tend à distinguer les œuvres plutôt qu’à créer un ensemble homogène à traverser, révélant toutefois un soin tout particulier à la présentation : socles, hauteurs et jeu d’écart sur les murs sont pensés avec minutie pour mieux exiger du visiteur d’assembler l’une après l’autre ces multiples entrées dans le paradis perdu.
Mathieu Latulippe, vue de l'exposition, Retour à Paradise Lost, 2014, permission de l’artiste, photo : Richard-Max Tremblay
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