Manif d’art : Formes et contre-formes de l’art engagé
La Manif d’art de Québec prend place dans la ville pour le mois de mai. 36 artistes présentés dans de nombreux lieux, un centre névralgique à l’espace 400e et plusieurs partenariats en font un évènement d’envergure.
Dufresne et Laganière. Toutes les photos : © Renaud Philippe
La commissaire Vicky Chainey Gagnon a choisi le thème de « Résistance » pour aborder des enjeux politiques au plus près de l’actualité. Elle a rassemblé sous cette bannière des artistes qui « abordent l’obtention du pouvoir et sa contestation dans la vie quotidienne ». Éminemment contemporaine et ancrée dans le 21e siècle, la vision de la commissaire est tournée vers ces évènements récents nommés par les artistes, tels que le mouvement Occupy (Hessler), le sommet du G20 (Blain) ou les Jeux Olympiques (Dufresne & Laganière). Dans ce contexte maintenu au plus près de l’actualité proche, les œuvres devraient être principalement déterminées par une forme d’urgence : urgence à redonner voix aux 99 %, à dénoncer les formes abusives du pouvoir ou à révéler les menaces qui touchent nos sociétés en terme de guerre, écologie ou économie. Si ces enjeux définissent la trame de fond – et la finalité de plusieurs œuvres explicitement engagées-, ils sont étonnement livrés sous une forme davantage posée et achevée, où les œuvres semblent les placer à quelque distance du tumulte de la rue et de la contestation populaire.
Mark Boulos, No Permanent Adress
Étonnante mais stimulante distance que celle livrée par la Manif d’art pour envisager l’art politique. Le contenu politique est analysé à travers le prisme de l’art, devenant nécessairement dépouillé d’une certaine immédiateté et recontextualisé : les formes suivent un long cheminement de réflexion, de création esthétique, voire de possible « récupération » institutionnelle. Le sous titre de l’évènement « et puis nous avons construit de nouvelles formes » laisse bien entendre ce processus double, qui définit autant une mobilisation qu’une gestation artistique. L’acte de créer des artistes les engage à porter un regard sur la situation politique et sociale qui les entoure, tout en exigeant d’eux de réinventer les moyens de questionner le monde actuel.
Justin A. Langlois, The Academy of Tactical Resistance
La sélection d’artistes met ici l’accent sur toute la multiplicité des formes d’engagement et de résistance, donnant davantage de présence à des attitudes individualisées plutôt que collectives. Si la voix porte au delà de l’individu vers les enjeux de société, c’est la voix d’un artiste et sa forme spécifique qui sont avant tout privilégiées. Vicky Chainey Gagnon a volontairement éclaté ces formes de résistance, parfois à l’extrême. Les œuvres sont poussées vers des contradictions visuelles très fortes : la forme documentaire (Boulos, Dufresne & Laganière) y rencontre la forme baroque (Juan Ortis-Apuy, Condé & Beveridge), le néon et les formes manufacturées (Claire Fontaine) succèdent au bois (Drouillard), des images ostentatoires (Hassan) sont associées à de timides motifs artisanaux (Myre). La variété des matériaux n’est pas anecdoctique, au contraire, elle participe de cette diversité, mais trouve parfois ses limites à trop se disperser et à vouloir rassembler autant de formes sous une même bannière. Certaines œuvres restent ainsi en marge vis-à-vis de la thématique tel que Ibghy & Lemmens, Drouillard ou Marc-Antoine Côté.
Jarod Charzewski, The Machine Gunners
La puissance symbolique des œuvres est sans doute l’élément fédérateur du parcours de la Manif d’art. À quelques exceptions près (Chevalier, McCormack), la reprise, la dénonciation et le détournement de symboles forts sont omniprésents, du billet de 20 dollars canadien au soldat fait de livres militaires, en passant par la tribune de discours, la voiture de course et le drapeau. Parfois littérales mais souvent percussives, ces œuvres symboliques donne de la voix à une mobilisation artistique qui apparait bien présente et plus que jamais nécessaire.
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