L'artiste Thomas Bégin présente à la Fonderie Darling une œuvre où un code numérique est transformé en partition musicale. Sous le commissariat d'Éric Mattson, l'exposition Byte by Byte propose une traversée en équilibre sur le fil entre technologie et machinerie.
toutes les photos : BYTE BY BYTE 2014, Thomas Bégin, © Maxime Boisvert
Byte by byte est une orchestration sonore proposée à partir de la lecture aléatoire d'un disque dur. Les données numériques issues de documents puisés au hasard du disque deviennent une partition trouvée puis lue au ralenti à raison d'un unique byte par seconde, là où un ordinateur procède à près de un million de bytes par seconde. Thomas Bégin ne laisse pourtant rien paraître de cet usage technologique à l'origine du projet et se tient bien loin des expérimentations où se façonnent des œuvres sonores évanescentes, guidées par les nouvelles technologies. Au contraire, il retourne à des fondements simples où la production du son devient un voyage physique.
Dans l'espace, le son se propage, littéralement. Le flux de l'impulsion électrique, signal minimal à l'origine du byte, est amplifié et ralenti pour produire un son en passant d'un objet à l'autre. Devant nos yeux, il allume un néon d'abord qui fera ensuite vibrer un amplificateur pour poursuivre sa course à travers les éléments placés selon un réseau qui tient autant de l'assemblage bricolé, de la précision scientifique que du voluptueux chaos d'une scène de concert. Au total, huit stations proposent dans la salle une combinaison toujours différente d'amplificateurs, de guitares, de cymbales, de caisses claires, de néons et d'ampoules. Le son naît de cette composition d'objets manipulés, de câbles et de tiges métalliques qui conduisent le flux électrique à travers eux. La nappe musicale se propage d'une station à l'autre pour nous envelopper dans ses vibrations denses, dessinant une « zone floue, [à la] limite entre musique et parasitage sonore » selon l'artiste.
La grande galerie Fonderie offre un écrin particulièrement subtil pour expérimenter ce dialogue de son et de lumière. En traversant la nef, nous prenons la mesure de l'approche sculpturale du son chez Thomas Bégin. Là réside sans doute le fragile mais bien présent équilibre de cette exposition : dans cet espace imposant, l'artiste réussit à donner une autre échelle au son mais aussi à l'espace.
Le son prend une réalité nouvelle, enveloppante et physique voire presque synesthésique. Nous le voyons et l'entendons, le sentons vibrer et se propager. Il nous ramène vers les règles élémentaires de l'électronique tout en créant une réalité distincte de ce qui est associé habituellement à la musique. Si les amplis vibrent, c'est sous l'impulsion de néons qui s'éclairent et propagent le signal électrique. Les guitares s'immobilisent et deviennent d'intouchables sculptures qui réverbèrent uniquement le son. Les instruments de musique ne sont plus le point d'origine du son mais des passerelles infinies, manipulées avec ludisme par un artiste-bricoleur qui en fait ses outils de prédilection.
La familiarité que nous partageons avec ces objets pourrait bien être trompeuse et l'œuvre nous invite rapidement à les appréhender autrement, comme des parties solidaires d'une plus vaste machinerie. Associés ici avec la forte présence de la lumière, les instruments sont disséminés au sein d'un orchestre plus complexe où les éclairs des néons et le clignotement des ampoules s'imposent pour élargir le champ sensoriel. Avec ces phénomènes physiques mis en musique, Thomas Bégin maintient son œuvre dans l'intelligence d'une démonstration sonore et électrique dont il rend visible le mécanisme sous-jacent sans pour autant en effacer la magie.
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