« DÉCOLORATION »
6 au 30 mars | March 6 to 30
vernissage 6 mars 17h30 | March 6 ~ 5:30PM
galeriedartdoutremont.ca
Déformation 2, 2012 - 13, acrylique sur bois, 137 x 137 cm
Hormis les œuvres d’art qui s’appréhendent sur un écran d’ordinateur, la plupart des œuvres perçues en salle d’exposition le sont dans un espace déambulatoire. Notre point de vue est nécessairement mobile et continu quand nous cherchons à les percevoir, mais certaines œuvres nous donnent des informations très différentes selon la distance que nous occupons par rapport à elles. Lorsque nous sommes dans l’espace environnant une sculpture ou une installation, cette mobilité du spectateur va de soi. Mais on a parfois tendance à penser qu’en ce qui concerne la peinture, il existe un point de vue privilégié qui est essentiellement frontal et central afin de bien percevoir l’ensemble d’un tableau. Les autres points de vue seraient soit secondaires, soit négligeables. Ce réflexe a peut-être quelque chose à voir avec l’importance et le rôle que nous avons accordés à la perspective pendant plusieurs siècles dans l’art occidental. Cependant, la distance, et même l’angle de vue que nous occupons à l’endroit du tableau, feront varier nécessairement notre perception et notre compréhension de l’œuvre peinte. Et je ne souhaite pas aborder ici des questions relatives à l’anamorphose ou à la peinture en général.
Il est donc des œuvres peintes pour lesquelles cette question de la mobilité du point de vue aura un impact majeur. Le travail récent de Ianick Raymond appartient probablement à cette catégorie. Curieusement, cette dimension m’est apparue des plus évidentes à partir de documents envoyés par courriel et lisibles à l’écran sur lesquels il y avait tantôt des vues d’ensemble, tantôt des détails. Comparativement, lors d’une visite d’atelier faite un peu plus tard, cet écart entre vue d’ensemble et vue en détail s’était estompé, un peu en raison du déplacement continu que le spectateur que j’étais effectuait dans l’espace. Dans les tableaux en question, le motif dissimulé à l’arrière-plan ne se laissait bien percevoir qu’en vue d’ensemble. De près, ce motif s’estompait pour laisser voir davantage les détails de fabrication.
En fait, dans ces tableaux, il n’y a pas que ce motif qui se laisse percevoir différemment selon la distance : le tableau s’articule sur un double effet de perception de l’avant-plan et de l’arrière-plan. Même cet avant-plan qui, par la gradation des luminosités de la couleur, crée un effet de volumétrie ondulante, se trouve profondément modifié lorsque le regard se rapproche et distingue davantage les parties que l’effet d’ensemble. On pourrait donc penser que ces tableaux nous demandent préférablement d’occuper le point de vue et la distance où l’effet global sera le plus saisissant, mais je crois que ce serait là limiter ce qu’ils produisent. Ce serait peut-être davantage une ruse du tableau, ou de l’artiste, afin de nous détourner de ce qui s’y passe. Le tableau est ainsi construit qu’il nous demande de nous approcher. Qu’est-ce que cette forme que je perçois à moitié, que j’entraperçois de loin ? Dans le désir de mieux la saisir, je m’approche pour la voir bientôt s’évanouir. Je dois donc retourner d’où je viens pour la saisir à moitié, et je devrai me contenter de cette «moitié». J’ai tendance à penser que c’est plutôt là que s’articule la proposition mise en forme dans ces tableaux : non pas dans la position relativement distante et idéale du spectateur où l’effet est à son maximum, mais davantage dans ce que le tableau semble nous donner pour nous le retirer par la suite. Ces tableaux fonctionnent selon la logique du retrait, mais pourtant ils ne nous enlèvent rien. Peut-être seulement ce que l’on aurait espéré qu’ils nous donnent.
Cette place du spectateur, en quoi est-elle différente de ce que nous propose, par exemple, la peinture que l’on a nommée «optique» ? On pourrait croire des tableaux de Ianick Raymond qu’ils se situent en droite ligne de cet héritage pictural. Il en utilise d’ailleurs certains artifices et certains modes d’organisation. Mais ce que ces tableaux produisent ne se situe pas uniquement sur le terrain rétinien : ce qu’ils mettent en place se manifeste également par ce désir de voir qu’ils créent chez le spectateur. Le «chatouillement» est donc double car il implique une certaine vibration rétinienne et il produit également une oscillation ou un « agacement » de notre désir de voir.
Si les tableaux intitulés Déformation possèdent une certaine efficacité, c’est probablement parce qu’ils arrivent à mettre en place une interférence entre deux modes d’organisation de l’image et deux structures lumineuses différentes. Cependant, cette stratégie n’opère pas toujours de la même manière dans toutes les œuvres de Ianick Raymond. Le choix des différentes structures ou formes utilisées pour chacun des plans produira un effet fort différent selon le degré de fragmentation de la surface ou le format des motifs. Il en résultera des types et des degrés d’interférence variables selon les séries de tableaux. J’aurais cependant tendance à dire que le travail des dernières années de cet artiste cherche en quelque sorte à baliser le territoire de ces différentes interférences et des oscillations ou vibrations qui en résultent.
Source : François Lacasse
Ianick Raymond est un jeune peintre québécois de 30 ans formé à l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM ; il y a obtenu un baccalauréat en 2007. Dans les trois dernières années, Ianick Raymond a déjà participé à cinq expositions solos et à dix expositions collectives à travers le Canada. Son travail a également été retenu en 2011 pour la 13e édition du concours national de peinture organisé par la RBC Banque Royale et fait partie de plusieurs collections publiques et privées importantes au Canada, aux États-Unis et en France.
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