S’inscrire dans le temps
16 février 2013 – Nous avions envie d’entamer cette série d’entrevues sur les dessous de l’art contemporain avec Émilie Grandmont Bérubé, jeune galeriste de la galerie Trois Points. Sur place, une atmosphère accueillante faite de simplicité nous attendait, avec beaucoup d’espace pour laisser parler les œuvres. Nous lui avons posé des questions d’ordre général pour commencer, afin de connaitre son point de vue sur le milieu.
photos : Isabelle Bergeron
RDV : Comment perçois-tu le monde des arts visuels ?
Émilie : Il s’agit d’un milieu unique qui recèle mille et une merveilles. Un monde promu par plusieurs acteurs - artistes bien sûr et aussi commissaires, collectionneurs et galeristes - qui travaillent à nous le faire découvrir. Derrière les apparences de ce monde passionnant, nombreux sont les enjeux, sacrifices et règles à respecter que ces acteurs doivent vivre pour faire en sorte que « l’art s’inscrive dans le temps ». Le milieu de l’art s’avère un univers bien réel et surtout humain.
RDV : Peux-tu nous dire comment ça a commencé pour toi ?
Émilie : il y a bientôt 5 ans, Jocelyne Aumont, qui avait dirigé la Galerie Trois Points pendant plus de vingt ans, désirait se retirer. Avec Jean-Michel (mon conjoint) nous avons voulu relever un défi en faisant l’acquisition de la galerie. Il s’agissait d’une belle occasion puisque la galerie venait avec des artistes bien établis et une clientèle qui les suivaient depuis plusieurs années. Je me suis donné pour mission d’apporter un nouveau souffle à la galerie pour qu’elle perdure dans le temps et demeure une référence dans le monde de l’art québécois.
RDV : Quels défis attendent ceux qui désirent ouvrir une galerie ?
Émilie : Être propriétaire d’une galerie occasionne beaucoup de sacrifices sur le plan personnel et surtout en ce qui a trait à la vie sociale. L’équilibre « vie-travail » demeure difficile à atteindre. Travailler plus de 70 à 80 heures par semaine n’est pas facile, surtout les premières années. Il faut expliquer à la famille et aux amis que pour se voir il faut venir à la galerie. Je me dis chanceuse que Jean-Michel fasse partie de l’aventure, puisqu’il partage mon quotidien et comprend cette réalité. On est dans le même bateau. Durant le jour, on vit naturellement beaucoup d’interruptions de la part des clients et visiteurs. On se doit de répondre à leurs questions, de les guider, de faire la promotion et la vente d’œuvres de nos artistes, donner des recommandations, passer en revue les porte-folios, etc.
Comme il est nécessaire d’être disponible pendant les heures d’opération, il ne reste que le matin, le soir et le lundi comme la galerie est fermée, pour faire de la recherche, s’occuper de l’administration et monter les expositions. Les galeristes tiennent aussi le rôle de commissaires puisque nous veillons à tous les détails : accrochage des œuvres, préparation des salles, coordination, logistique.
Mis à part ces aspects plus techniques, le cœur de mon travail est de raconter une histoire autour des œuvres. Je m’affaire à vulgariser, à rendre plus accessible les œuvres en racontant le plus simplement le propos de l’artiste, pour rendre tangible, en quelque sorte, le processus artistique.
RDV : Comment avoir une réputation et demeurer une référence dans ce milieu ?
Émilie : Il n’y a pas vraiment de recette miracle. Il faut exposer des œuvres qui s’inscrivent dans le temps. On gagne en crédibilité en s’impliquant aussi dans la communauté artistique.
RDV : Peux-tu nous dire ce qui t’occupe en plus de la galerie ?
Émilie : Je siège à des conseils d’administration comme celui de l’Association des galeries d’art contemporain (AGAC) et de la Art Dealers Association of Canada (ADAC), je suis juré à l’occasion pour des initiatives telles Bénévotemps, et je m’implique auprès d’organisations qui me tiennent à cœur, avec les Jeunes associés de l’Opéra de Montréal par exemple.
RDV : Comment bien choisir les œuvres ?
Émilie : l’œuvre choisie doit avoir une valeur en histoire de l’art. Je me sens rassurée quand les œuvres d’un artiste prennent le chemin des musées. Il est important que les pratiques artistiques démontrent une certaine considération de ce qui a déjà été fait pour s’inscrire dans l’histoire de l’art.
L'enquête est une série d'entrevues co-dirigée par Éric Bolduc et Myldred Alphonse.
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