Chris Burden est connu pour ses performances qui l'ont imposé comme une figure extrême des années 1970, en exposant son corps à plusieurs gestes violents. Ses sculptures et installations plus tardives, composent une poésie toute autre. Avec elles, l'artiste devient l'architecte fou d'un monde à son échelle, jouant sans cesse sur son équilibre physique tout autant que politique.
images : Chris Burden, Extreme Measures, New Museum, New York, 2013.
Courtesy New Museum, New York. Photo: Benoit Pailley
Pour l'exposition Extreme Measures, le New Museum a pris le parti de présenter les œuvres grands formats de l'artiste, créées entre les années 1980 et aujourd'hui. Elles cherchent à s'immiscer dans plusieurs espaces inattendus – le hall, la façade, le toit - pour ouvrir l'espace d'exposition à un parcours moins classique. Poursuivant l'esprit de cette institution qui utilise régulièrement l'architecture extérieure de l'édifice pour présenter des œuvres in situ (Ugo Rondinone, 2006), un bateau est hissé au premier niveau de la façade et sert d'étendard sur la rue. Malgré ces interventions inusitées, l'exposition reste fidèle à un parcours classique de vastes salles épurées. L'espace intérieur impose une visite ambiguë au visiteur qui se trouve à la fois conforté dans ses repères et bousculé par le découpage de l'exposition en cinq niveaux, où les espaces sont inhabituellement isolés les uns des autres.
Extreme Measures joue la carte d'une teinte différente à chaque niveau, misant sur les contrastes à l'inverse d'un parcours uniforme ou chronologique. L'exposition devient alors très déséquilibrée d'un niveau à l'autre, certains espaces trouvant leur juste accrochage, d'autres luttant dans l'étroite proximité des œuvres. Au cinquième niveau, le travail de performance de Chris Burden se trouve réduit à quelques documents accessibles uniquement dans des classeurs disposés sur quatre tables, une entrevue audio et une vidéo. Quelque peu délaissés, ces éléments sont placés en marge et confirment que le cœur de l'exposition réside ailleurs. L'étage suivant introduit directement une œuvre récente de Burden, un balancier gigantesque maintenant en équilibre une porsche avec une roche d'une météorite ; face à elle L'œuvre plus ancienne The Big Wheel (1979) tente de s'imposer.
Au troisième niveau, plusieurs architectures de ponts miniatures sont réunies à peu de distance de deux canons, parfaite reproduction des canons historiques de la Tower de Londres faisant face à l'ascenseur en un geste qui se veut menaçant mais devient dérisoire tant les canons semblent être des jouets agrandis et inoffensifs. En retrait sont présentés une vidéo récente et une sculpture faite de lingos d'or, autoritairement surveillée par deux gardiens. L'ensemble est hétéroclite, malgré une affinité évidente entre les maquettes réalistes en mécano ou bloc de béton. Le regroupement des œuvres perd ainsi de sa lisibilité et de sa rigueur.
Le second niveau est sans conteste le centre névralgique de l'exposition et la partie la plus stimulante. L'accrochage se fait plus aéré, cohérent. Les pièces rassemblées prennent une teneur politique tout en nous invitant dans un monde particulièrement ludique : uniformes policiers plus grands que nature, flotte navale suspendue et bunker en sacs de ciment conduisent le spectateur dans une exploration des images du pouvoir policier ou militaire. Chris Burden introduit la menace latente des conflits réels dans ce monde irréel. Elle culmine dans l'installation A Tale of Two Cities (1981), une composition surréaliste d'une bataille où plus de cinq cent robots, soldats ou tank miniatures s'affrontent dans un décor de sable et plantes vertes. Avec ce terrain de jeu rigoureux et obsessionnel, l'artiste revisite le genre du diorama historique tout en adressant un regard critique sur ces jeux de puissants qui ébranlent nos sociétés. Le spectateur peut y voir à travers des jumelles les figurines familières de son enfance « jouer à la guerre ». Ainsi tenu à distance, il regarde passivement - et avec un air paradoxalement amusé- basculer devant lui l'équilibre du monde. Oeuvre-synthèse tout autant que récit-fleuve, A Tale of Two Cities est le point d'achoppement de cette exposition. Elle parvient ici, à elle seule, à rendre compte de la teneur politique qui aurait pu être fragile et inefficace sans cette œuvre maîtresse et la présence d'œuvres fortes à proximité. New Measures permet d'offrir une vision globale à la dimension critique de Chris Burden mais c'est dans l'hommage à ces rares œuvres à double tranchant qu'elle est le plus efficace.
Claire à New York ~ Résidence de recherche pour commissaires indépendants au International Studio and Curatorial Program de Brooklyn du CALQ
Claire Moeder remercie le Conseil des arts et des lettres du Québec de son appui financier.
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