Le projet Complot, initiative étudiante lancée il y a 10 ans, fête cette année un anniversaire teinté d'une saveur douce-amère : le thème retenu du « dégât », doublé du « constat de décès » volontaire de Complot annonçait un événement sur le fil du rasoir. L'exposition, la publication et la table-ronde ont généré en 2013 une importante réflexion, mais aussi une vision fragilisée car éclatée.
Complot propose chaque année un jumelage entre 10 artistes visuels et 10 auteurs de la relève. Initiée dans le contexte universitaire de l'UQAM, cette formule visait à tisser des liens entre les étudiants en arts et en histoire de l'art, jugés trop ténus. Les projets se sont rapidement développés en une plateforme autonome où, chaque année, le groupe de travail constitué des artistes et auteurs fixe une nouvelle direction artistique à l'événement.
En 2013, le projet annuel naissant s'est aussi mué en un acte de décès. La perspective d'une fin nécessaire de Complot, dans son mandat et sa structuration actuels, s'est imposée aux participants puis a infiltré la direction artistique pour la submerger presque complètement. L'exposition et la publication en portent d'ailleurs bien plus que les stigmates. Le texte principal n'a pas choisi de mettre en avant la thématique originale du « dégât », pourtant nécessaire à introduire les œuvres exposées dans l'édifice Grover. Il a « débordé le cadre de la thématique de l’exposition pour investir celui du projet lui-même et questionner sa pertinence ainsi que sa forme, fixe depuis dix ans », pour finalement annoncer la mise à mort d'une formule « empiétant sur les idéaux de libertés implicites au projet ».
L'accrochage pour l'exposition a nécessairement subi lui aussi l'influence de ce glissement de la réflexion vers l'acte de décès. Cette emprise sur le champ thématique a rendu les œuvres quelques peu orphelines de leur idée conductrice et leur présentation. Devenue solitaires, elles manquaient d'articulation entre elles. Dans l'espace à deux niveaux, elles rendent compte d'un esprit de dispersion plutôt que de ralliement des artistes. Chacun a exploré très distinctement les possibilités du « dégât » dans ses « gestes involontaires, maladresses, pertes de contrôle, chaos, recherche de l’erreur » . Les textes des auteurs n'étaient pas présentés dans l'espace et auraient sans doute mérité de sortir du livre pour s'y afficher plus distinctement.
Les œuvres ont su toutefois prendre une posture subtile dans l'espace sans s'effacer pour autant, comme en témoignent la présence de la performance suspendue au plafond de Steffie Bélanger, le jardin caché de Arséno ou la curiosa de Jessica Arseneau, constituée de papillons et vidéo à l'étroit sous l'escalier. Les vidéos de Janick Burn et Serge Olivier Rondeau créent des alcôves de visionnement pour pouvoir s'isoler devant les images, contemplatives pour l'une, démonstratives pour l'autre. À l'étage, la présentation est plus classique, structurée par l'accrochage mural des dessins de Jean-Michel Leclerc et Maude Corriveau. La sculpture d'Élise Provencher opère comme un pivôt central pour nous inviter à tourner autour de ce corps sans visage grandeur nature. Hétéroclite, cette dixième édition s'affiche volontairement comme un événement menacé et suspendu dans le temps. Si cela affecte notre rencontre avec les œuvres, rendue plus énigmatiques, elle ouvre une perspective stimulante de débat et questionnement sur l'identité de Complot, qui n'en finira pas de mourir.
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.