Le commissaire d'exposition est un personnage un peu hybride, un peu flou qui a su pourtant faire reconnaître son statut public au sein du milieu des arts. La mouvance actuelle veut que le commissaire s'affiche comme une figure identifiable qui, tout comme l'artiste, aura son nom placé à l'entrée de l'exposition. Cette autorité nouvelle a fait basculer les rôles de pouvoir au sein de la sphère artistique où l'artiste se trouvait auparavant face aux conservateurs, galeristes ou directeurs d'institutions. Elle s'est aussi vue accompagnée de toutes sortes de critiques, de revendications et de tentatives de définitions qui, aujourd'hui encore, sont au cœur de débats, notamment sur le vedettariat des commissaires.
photos : sauf indication, Circa
Le rôle naissant du commissaire en attente de définition et ses limites poreuses ont rapidement ouvert une brèche dans lequel l'artiste s'est engouffré, revendiquant à son tour cette posture « d'auteur d'exposition ». Si cette incursion de l'artiste dans le champ du commissariat a pu paraître subversive ou critique, comme Daniel Buren l'affirmait en 1972 dans le catalogue de la Documenta 5, elle a pris depuis une forme plus convenue et, partant, plus sage.
photo : Manuel Mathieu
De nombreuses institutions ouvrent à des artistes leur collection ou leur programmation d’expositions temporaires. Invités à intervenir sur l’accrochage de la collection permanente, la scénographie d’une salle ou à concevoir les événements corollaires à la programmation, les artistes intègrent l’espace muséal de manière inédite. Montréal n'échappe pas à la règle : la Galerie SAS a proposé en 2012 et 2013 une série de carte blanche à ses artistes, invités chacun à concevoir une exposition - voir claire-moeder-sur-possession et claire-moeder-sur-fabuleux-cercles-vicieux.
La contamination du champ de l’exposition par des démarches intégralement dirigées par des artistes rappelle la fragilité -voire l’impossibilité- d’un statut unique du commissaire.
À l'image des frontières floues qui délimitent le rôle du commissaire, les expositions conçues par un artiste-commissaire peuvent elles aussi être victimes de ce manque de délimitations.
photo : Manuel Mathieu
À Espace Projet, l'artiste Manuel Mathieu a réunit ses oeuvres en lien avec deux artistes, Dominique Voyer et Sarah Zakaib. Ici l'artiste est également présent dans l'exposition ce qui rend la distance critique, considérée comme un outil important du commissaire, plus ténue. Manuel Mathieu s'est attaché à la vision du corps, très présente dans son travail, qui se doit ici d'articuler des œuvres très différentes. Les notions d'identité et d'intimité abordées par l'artiste-commissaire engoncent l'exposition dans une thématique évasive qui aurait pu être davantage affinée.
photo : Manuel Mathieu
L'artiste conçoit une expérience, mais aussi une lecture, issue de ses choix et de l'accrochage des œuvres. Ce discours, traditionnellement aux mains de scientifiques ou théoriciens devient perméable aux affinités électives, aux libres associations ou à l'interprétation d'un thème qui touche de près l'artiste. Au centre d'exposition CIRCA, c'est l'artiste montréalaise Lalie Douglas qui présente actuellement une exposition de Karilee Fuglem, Renée Lavaillante et Max Streicher. Orchestrée autour de la notion d'espace, l'exposition est pourtant loin de la dynamiques des oeuvres de Lalie Douglas. Le thème ne parvient pas à s'offrir en vision cohérente ni à créer un lien efficace avec la sensibilité de l'artiste-commissaire. L'entreprise de commissariat, trop timide, rate sa cible là où elle aurait pu consolider les oeuvres autour d'une vision nouvelle des œuvres entre elles par un accrochage ou Lalie Douglas aurait pu revendiquer son propre rapport à l'espace, elle qui est reconnu pour ses architectures qui mettent en scène des paysages miniatures.
Les propos que l'artiste-commissaire apporte au sein du lieu d’exposition sont portés par son travail artistique ou entre en corrélation avec sa propre création. L'exposition devient alors intéressée, c'est à dire faisant la part belle aux intérêts personnels du commissaire. C'est ce qui fait souvent la différence : elle nous immerge dans une vision unique, libérée des besoins didactiques ou historiques imposés par les musées. L'exposition s'approche davantage d'un objet autobiographique que d'un objet de connaissance universelle.
Il faut donc pouvoir assumer jusqu'au bout cette vision artistique et subjective de l'exposition, tout comme l'artiste se met en danger pour sa propre création. En choisissant des œuvres d'autres artistes, il est celui qui discourt autant sur lui -paradoxalement même lorsque qu'il ne fait pas partie de l'exposition- que sur les autres et c'est un parti-pris qui ne peut être pris à la légère, au risque de manquer son coup.
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