Montréal recèle ce printemps d'expositions atypiques qui nous invitent à passer le seuil des musées et galeries autrement. Elles détournent nos habitudes de visite pour nous rappeler que l'art peut être une expérience déstabilisante qui joue avec ses propres règles, non sans un certain plaisir critique.
Photos (sauf indication) : In Union, Milutin Gubash, 2013 © Guy L'Heureux
Dans les murs du Musée d'art contemporain, l'artiste français Laurent Grasso abandonne le visiteur dans le noir. Son labyrinthe nous immerge dans un parcours à l'aveugle, à travers de long et obscurs couloirs, des salles vidéos et des espaces infranchissables où les œuvres ne sont visibles qu'à travers des petites percées dans les murs. Ce dispositif d'ouvertures murales est d'ailleurs, à lui seul, un retournement savant de la présentation des œuvres. L'exposition mobilise de vastes moyens architecturaux, mais c'est dans ces détails que le parcours devient singulier. Davantage cachées qu'exposées, les œuvres suscitent un plaisir voyeur chez le spectateur, exacerbé par cette impossibilité de les saisir complètement.
© Laurent Grasso ADAGP 2013, Présentée au Jeu de Paume, Paris. Photo : Romain Darnaud
Laurent Grasso conditionne le spectateur pour créer des réactions inédites face aux œuvres d'art. Celui-ci expérimentera le voyeurisme de ces semi-cachettes mais aussi le doute sur ce qu'il voit car l'artiste construit une « fausse mémoire historique » à partir de documents anciens originaux associés sans distinction avec des copies et des œuvres contemporaines. À la fois perte de repère physique et perte de certitude, l'expérience de ce labyrinthe travaille à rebours l'autorité du musée, en semant le doute sur le statut d'œuvres d'art des objets qu'il présente.
À la Fonderie Darling, l'artiste Milutin Gubash met littéralement à terre une exposition rétrospective qui lui est dédiée, réunissant ses dix dernières années de création. Ici encore, les règles de l'art sont bousculées et, avec elles, le rapport que nous entretenons avec les œuvres. Les œuvres ne sont pas accrochées sur les cimaises mais placées côte à côte à l'horizontal, sur de simples palettes de chantier. Geste intempestif s'il en est, ce dispositif fait fi des codes d'accrochage muséal pour produire un chaos organisé au niveau du sol. L'exposition perd là encore volontairement son spectateur, qui devra errer sans but autour des œuvres, ne pouvant réellement y accéder – l'accrochage allant jusqu'à évoquer les œuvres absentes de l'exposition par une simple indication de leur localisation actuelle dans une collection ou un autre musée.
L'exposition In Union reprend à son compte, avec une grande liberté de ton, les œuvres présentées auparavant dans la rétrospective consacrée à Milutin Gubash à travers le Canada. Elle vient répondre en clin d'oeil à leur accrochage précédent qui respectait la chronologie des œuvres ou leur regroupement en série. Sans cette clé de lecture, il est malheureusement très difficile d'aborder l'exposition et le visiteur n'y verra sans doute qu'un jeu insensé de formes.
In Union est portée par cet esprit joueur mais aussi usurpateur que l'on retrouve chez Laurent Grasso. Sous des allures insolites, ces expositions offrent une véritable critique des lieux dans lesquelles elles prennent place. Les artistes usurpent le rôle autoritaire du musée pour redistribuer les règles, au risque de laisser parfois le visiteur non connaisseur sur le seuil. Ces expositions offrent néanmoins un effet de surprise non négligeable et une forme d'errance qui nous réconcilient avec l'idée que l'on peut se faire d'une exposition, celle d'un véritable engagement physique du spectateur, souvent éludé par l'effet clinique du white cube.
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