Jeu de vilain
photos : avec l'aimable permission de la galerie antoine ertaskiran
Avec l’exposition mémoire d’éléphant, l’artiste iranienne Sayeh Sarfaraz ouvre un peu plus grand les portes de son univers ludique et malveillant. À l’échelle d’un enfant, l’exposition propose un parcours initiatique autour des conflits en Iran dont le spectateur ne restera pas intact.
« Tu viens jouer ? » : l’invitation lancée sur le mur de la Galerie Antoine Ertaskiran a ce ton d’enfant, un peu insistant, exigeant même. Au seuil de l’exposition, le texte harangue un spectateur imaginaire et pose immédiatement ses règles : « Fais comme si tu étais la gentille et moi la méchante […] Fais comme si tu mourrais […] je te dis comment faire […] encore fais comme si c’était vrai… ». Cette série d’ordres scandée sur le mur prend littéralement la place du texte de commissaire attendue en prémisse de l’exposition. Ici, le langage n’est ni théorique ni historique, mais use plutôt d’une rhétorique immédiate : celle de la menace. Il est utilisé très frontalement afin de dénoncer la situation violente qui secoue l’Iran. Si d’emblée le langage s’affirme avec force, il s’effacera pourtant peu à peu de l’exposition pour laisser place aux dessins et figurines qui envahissent les installations de l’artiste, porteurs eux aussi d'une même violence.
Sayeh Sarfaraz compose tout en miniature à partir de jouets, qui prennent l'allure de dictateurs et de prisonniers. L’exposition condense ce sens du détail pointu propre à l’artiste tout en le diversifiant. Si l’artiste utilisait jusqu’alors des figurines LEGO, ses œuvres sont désormais vivifiées par un vocabulaire plus large pour recomposer le paysage politique iranien et ses tensions. Face aux bonhommes jaunes familiers de tous, l'exposition introduit nouvellement l’écriture persane, des figures modelées d’oiseaux et de soldats ainsi que des dessins naïfs.
Le spectateur est guidé par l’artiste sur son propre terrain de jeu : les dessins se découvrent à travers des trous, des figurines sont cachées là où on ne les attend pas, le plafond y est trop bas. L’attraction ludique de l’exposition fait son œuvre et nous incite à user à nouveau de notre regard d’enfant. Nous ne conserverons pas longtemps notre innocence : dans l’exposition, l’enfant imaginaire se retrouve face au dictateur.
En entrant dans l’espace, tout semble d’abord s’articuler autour d’une vaste plateforme suspendue au milieu de la Galerie. L’élément fait obstacle et oblige le spectateur à se baisser pour la franchir et y découvrir une scène de combats miniature. Deux autres éléments se partagent ensuite l’espace au sol. Repoussés aux extrémités opposées de la galerie, ils évoquent les architectures d’une maison et d’un bunker. La simplicité apparente de la maison, que l’on aurait aisément associée à un conte de fée, devient cependant le cœur d’un récit de guerre. De même, la seconde cabane miniature cache une série de dessins de Mollahs et de bourreaux évoquant les violences infligées dans les prisons iraniennes.
Poursuivant sa visite, le spectateur découvrira un à un chaque élément. A priori bien distinctes dans l’espace, les œuvres plus anciennes se succèdent à celles, inédites ou réalisées in situ. Pourtant l’artiste se plait à rejouer ici le jeu de l’installation globale, qu’elle déploie habituellement sans limites autant sur le sol que les murs. Elle nous oblige à reconsidérer l’espace comme un ensemble organique, reliant les diverses scènes en rapport les unes aux autres avec plus ou moins d’insistance et de pertinence. Ce jeu enfantin de la guerre qui se déploie sous nos yeux bascule en un ensemble complexe. Il oscillera toujours, ambigu, entre notre présence amusée dans l’exposition et notre regard inquiet face à la violence révélée.
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