Dialogue à deux voix
Zipertatou, MOBYDIDIDIDODIMOBYDICKDOCK, 2008, Vidéo (3 min 20 s)
Les commissaires de l’exposition présentée à la Maison de la culture Frontenac, Ariane De Blois et Stéphanie Bohi, ne tiennent résolument pas à dresser un portrait bucolique de la Suisse ou du Québec, ni à déployer « une succession d’emblèmes patriotiques [mais] plutôt [à] présenter une sélection d’œuvres qui, par leur nature mordante, ingénieuse et contemporaine, amèneront les spectateurs à se questionner sur leurs propres référents culturels ».
Vanessa Puentener, Sans titre, 2005, Tirées de la série Alp, Impressions laser
Déjouer la carte
L’image de la carte postale est soit repoussée bien loin (Vanessa Puentener avec sa photographie documentaire Alp), soit fortement critiquée (Chantal Romani et ses montages vidéo de paysages suisses). Une critique qui va parfois même jusqu’à un point de non-retour avec Olaf Breuning, qui rejette dans son anti-voyage toute forme de folklore touristique.
Pour mettre à mal les stéréotypes inhérents au folklore, les commissaires se sont tournées vers plusieurs « stratégies esthétiques dites « postmodernes » – hybridation, appropriation, infiltration – (qui) s’apparentent étrangement à des modes de productions propres au folklore »1.
Marianne Engel
Schwirrende Hütte (La hutte bourdonnante), 2008
Rejouer la critique
La quinzaine d’artistes réunis dans l’exposition manoeuvre ces stratégies selon des formules de dénonciation parfois véhémentes et directives, à l’image du duo Cooke-Sasseville qui démantèle littéralement une sculpture de la police montée canadienne à l’aide d’un castor. À l’inverse, certaines stratégies laissent un goût davantage doux-amer, où la critique du folklore se fait moins acerbe et plus intimiste : Marianne Engel entoure ses paysages de mystère, Jérémie Gindre exhibe le souvenir vétuste d’une grillade de saucisses à la manière d’un trésor ethnographique.
D’autres encore amalgament volontairement les symboles populaires et l’esthétique contemporaine. La montagne chez Maude Léonard-Coutant devenue triangle au mur ou le tressage de la ceinture fléchée chez Véronique Lépine s’apparentent alors à un art minimal actuel.
Maude Léonard-Contant, M14, 2012, Faïence, graphite, pellets de charbon pour barbecue, craie ; Bûchette votive, 2012, Pâte de bois, cendre (bois), linoléum, broche ; Madeleine de la fin mars, 2012, Papier mâché, encre, impression numérique, pâte polymère
S’approprier l’espace
Difficile espace que celui de la maison de la culture Frontenac. Ses deux salles spacieuses ne se laissent pas facilement habiter par les œuvres et celles-ci se frottent souvent à la théâtralité qui se dégage des lieux. La thématique autour du folklore n’exige pas – a priori- cette dramatisation des lieux. Elle vient pourtant s’accorder avec les œuvres présentées, en leur offrant une mise en scène particulière que seule l’obscurité permet, où le drame aurait désormais sa place. Cette résonance intervient à travers l’éclairage des œuvres. Chacune est pointée par un faisceau distinct, qui marque son isolement.
Ce que vous allez voir, Performance de Mathieu Lacroix et Christian Bujold
Le lieu, pourtant, n’est pas seul responsable. En y regardant de plus près, les œuvres proposées portent elles aussi une forme de drame solitaire, de mélancolie qui les place à distance, malgré un rassemblement attendu sous la bannière thématique du folklore.
Postérité-les-Bains (Processus de création/Été 2009, Saint-Sylvestre), 2010
Vidéo (14 min 53 s)
Images : Sylvie Larouche & Alex Berthier
Courtoisie : Parisian Laundry
Remerciements : Musée d’art contemporain de Montréal
Face à cette mélancolie, l’humour offre un pendant surprenant. Il tient un rôle fédérateur dans l’exposition là où la mélancolie divisait. La dérision et le détournement du folklore (Jason Arsenault, Nathalie Bujold, zipertatou) offrent le terrain de jeu idéal pour créer un dialogue où convergent les voix suisse et québécoise.
1 (Edith-Anne Pageot, « D’un quiproquo à l’autre : mise au point sur la notion de folklore dans l’art contemporain », Etc, no. 92, février-mai 2011, p. 21, citée dans le communiqué de l’exposition).
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