Exposition à couvert
Hans-Peter Feldmann, Bookshelves, 1999, cinq photographies montées sur aluminium Dibond. Photos : Ronald S. Diamond, avec la permission de SBC galerie d’art contemporain
À la Galerie SBC, Judging Books by Their Covers place le livre au cœur d’une exposition. Pourtant, vous n’y verrez pas d’objet imprimé à proprement parler mais plutôt ses images. Le commissaire Peter White met à l’honneur le livre et ses représentations et en réalisant une exposition-hommage, au contenu plus nostalgique que critique.
Peter White, a réuni cinq artistes autour de la thématique de l’objet–livre. L’exposition propose d’approcher le livre en tant qu’objet, à partir de la « simple réalité matérielle des livres imprimés, qui en font des avatars du savoir en même temps qu’une composante omniprésente de notre quotidien. » Dans la première salle, Bookshelves de Hans-Peter Feldmann reproduit -presque à l’échelle- la bibliothèque de l’artiste. Au plus près de son quotidien et au cœur de sa demeure, les livres amoncelés sur les étagères font ici office de portrait presque impudique de l’artiste. Cette photographie monumentale domine l’exposition et y joue sans ambiguïté un rôle de pivot.
Vue d’installation, Lorraine Oades, Painted Theories of Modern Art series, 1996-1998, Vingt-huit tableaux, huile sur toile
Les trois ensembles d’œuvres alentour doivent alors faire face à la forte présence visuelle de l’œuvre de Feldmann. La série Painting Theories of Modern Art de Lorraine Oades oppose de vives couleurs à la photographie noir et blanc. Elle s’impose grâce à cet accrochage coloré et dense, composé d’une grille de plusieurs tableaux. Chacun représente la couverture d’un livre existant, où Lorraine Oades a omis d’infimes détails pour créer une vision réaliste mais tronquée des objets-livres. Cet ensemble de peintures compile les œuvres littéraires et les théories qui ont trait à l’histoire de la peinture. Là encore, l’œuvre représente une bibliothèque, mais cette fois-ci à la manière d’une bibliothèque idéale. À grand renfort de références, Painting Theories of Modern Art explicite le lien entre les médiums de la peinture et du livre, l’un faisant référence à l’autre, et inversement.
Lorraine Oades, Painted Theories of Modern Art series (détail)
Marc Joseph Berge et Gayle Johnson s’appuient, quant à eux, sur les qualités physiques du livre. Ils reproduisent des couvertures de livres existants afin de jouer sur les qualités sensibles du livre plutôt que sur son intellectualisation. Gayle Johnson ne reproduit pas seulement les couvertures de livres de poche de qualité bon marché mais aussi leur épine et leurs pages écornées. Il porte attention aux défauts et à la fragilité de l’objet, que l’on retrouve également dans la série. De même, New and Used de Joseph Berge revèle la présence physique du livre sans porter attention à leur contenu. L’artiste photographie les couvertures de livres dans des présentoirs où il capte les associations hasardeuses de couvertures placées côte à côte. Avec ces deux séries, le commissaire rend sensible tout particulièrement son orientation vers l’objet plutôt que le sujet. Il privilégie à la suite de Walter Benjamin, « le sens intrasèque de la présence du livre » car « la substance des livres ne se limite pas à leur contenu ».
Vue d’installation (4 œuvres de Kitaj et vue partielle de Feldmann), R. B. Kitaj, In Our Time: Covers for a Small Library, After the Life for the Most Part series, 1969. (Gauche à droite) Fighting the Traffic in Young Girls ; The Tower by W.B. Yeats ; City of Burbank Annual Report ; Lou Gehrig.
La seconde salle est entièrement consacrée aux sérigraphies de R. B. Kitaj. Elles reproduisent avec minutie la collection personnelle des livres de l’artiste, où alternent théorie politique et œuvres littéraires. Si les œuvres de Oades, Berge et Johnson offrent une perspective davantage sociologique à l’exposition, les deux œuvres-bibliothèques de Feldman et Kitaj sont orientées vers le portrait individuel. Pourtant, ces deux axes -collectif et subjectif- ne s’affirment pas dans l’exposition. En manquant de lignes directrices claires, l’exposition manque sa cible et laisse le spectateur face à un accrochage trop timide. Si l’hommage au livre est omniprésent, il aurait mérité d’ouvrir une réflexion plus vive sur la place actuelle de l’objet-livre, sur ses détournements artistiques et son évolution avec « le passage du livre numérique [et] l’éventualité de la fin du livre tel que nous le connaissons » qu’évoque le commissaire dans le texte de l’exposition.
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.