Laurent Craste : artiste-commissaire (volet 1)
photos : Olivier Bousquet, Galerie SAS
Pour son 10e anniversaire, la Galerie SAS propose à trois de ses artistes de devenir commissaire le temps d’une exposition. L’artiste Laurent Craste ouvre le premier volet de ce cycle avec Possession. Guidée par les affinités électives de l’artiste, l’exposition invite à nous interroger sur l’artiste-commissaire, cet être hybride qui prend possession des lieux.
En offrant carte blanche à trois artistes, SAS leur dédie la programmation de ses expositions tout en demandant que les œuvres de l’artiste-commissaire fassent partie de l’exposition. Avec cette invitation, la galerie se situe entre les genres établis de l’exposition collective oet de l’exposition individuelle d’un de ses artistes-clés. Mais l’exposition prend aussi un tour plus orienté en incitant à créer des liens directs entre les œuvres de l’artiste-commissaire et les autres œuvres présentes.
Sur le communiqué de l’exposition, Laurent Craste est indiqué à la fois comme commissaire et artiste participant. Décrypter ce double rôle-titre est sans doute le premier pas de l’exposition : l’artiste vient se confondre dans les deux parts – traditionnellement distinctes – de l’exposant et de l’exposé. Il n’y a pas de stratégie d’effacement possible pour l’artiste, mais plutôt une double exposition alors qu'il se voit invité à diriger ses propres œuvres dans le même espace que celui des artistes qu’il aura choisi.
Céramiste de formation, Laurent Craste s’est tourné vers plusieurs œuvres qui traitent des usages et détournement de la céramique. L’espace principal est ainsi marqué par les photographies de vaisselle brisée d’Anne Ramsden puis par les dessins de vases de Yannick Pouliot. Entre les deux, Laurent Craste présente quatre de ses propres céramiques récentes, dont deux ont été réalisées pour l’exposition. Cet ensemble est combiné à un dessin de l’artiste, ainsi qu’à un triptyque photographique et une installation sous la forme d’un vaisselier accueillant une vidéo.
Si la céramique tient une place prépondérante, voire contaminante dans l’exposition, elle est également associée à des œuvres de grands formats, qui évoquent le mobilier intérieur : les objets de Jannick Deslauriers, la sculpture d’Anne Ramsden ou, encore, l’assemblage de chaises de Yannick Pouliot sont autant de réminiscences des objets siégeant dans l’intimité de la maison. Selon ses termes, le commissaire a voulu donner à l'exposition un « aspect domestique », au point que l’espace s’associe plus facilement à un aménagement décoratif qu’à un accrochage de galerie stricto sensu.
Laurent Craste a travaillé à l’encontre de tout effet de rupture stylistique. L’importance a surtout été donnée aux liens visuels, à l’image du meuble de Memento qui sert de passerelle vers la salle suivante et l'œuvre centrale Les ensembliers. Les œuvres transitent aisément entre elles, où une forme succède à une autre sans heurt grâce à une parenté d’objet ou de matériau. L’exposition impose ainsi une uniformité entre les œuvres et, partant, une uniformité dans la lecture de l’exposition. Pour Possession, toutes les œuvres sont systématiquement rassemblées sous la bannière « d’objets domestiques » : « incarnations d’affects et de vécu, les objets deviennent « habités » selon Laurent Craste et véhiculent une forte « valeur sentimentale […] au cœur des pratiques [des artistes] ».
Pour Possession, le langage de l’exposition vient se confondre avec le langage artistique de Laurent Craste. Ils partagent les mêmes enjeux et intérêts pour l’objet domestique, ce qui resserre encore les liens entre les artistes présentés et le travail de l'artiste-commissaire. L'exposition est une construction affective, basée sur les affinités électives et les résonances avec ses propres oeuvres. Ces filiations subjectives font partie de la liberté que possède l'artiste-commissaire, mais cette vision se fait aussi au détriment d’une visée plus thématique ou historique.
En jouant le jeu de commissaire le temps d’une exposition, l’artiste participe à bousculer les rôles stricts établis entre l’artiste, l’institution et le commissaire. Cela soulève également la question de la légitimité de l’artiste, notamment dans la manière qu’il a de s’approprier le médium de l’exposition, d'exploiter certains partis pris personnels et d'y affirmer sa subjectivité.
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