Jacinthe Lessard: sur le seuil
photos : Les Territoires
À la galerie Les Territoires, l’artiste Jacinthe Lessard-L présente l’exposition La Chambre en hommage à la photographie. Porté ici à demi-mot, il se dévoile sans emphases, par des moyens simples et des formes efficaces. La Chambre compile texte et image sur les murs. À la manière d’une exposition double, les deux projets de Jacinthe Lessard-L restent distincts dans l’espace où ils se succèdent sans réellement se rencontrer.
La première salle décline une série de tirages où se succèdent des formes colorées photographiées sur un fond noir. La vue de l’ensemble, homogène, est uniquement interrompue par une sculpture placée sur un socle. Forme familière, elle entre en résonance immédiate avec les images. Elle est aussi là pour nous rappeler à l’ordre. Les images ici ne sont pas abstraites contrairement à ce que leur apparence laisse croire au premier abord. Ce sont des sculptures, objets tangibles issus d’un processus de moulage réalisé par l’artiste. Didactique, cette sculpture solitaire annule le mystère de ces formes en les rendant plus explicites, mais aussi plus proches de nous.
Jacinthe Lessard-L a collecté plusieurs appareils photographiques, issus d’époques et de technologies différentes. Elle a ensuite réalisé un moulage de la chambre photographique de chaque appareil. Les formes issues de ce processus tiennent de la miniature, du jouet ou de certaines architectures. Placées sur un fond abstrait, elles perdent tous repères d’échelle.
Élément clé de la capture photographique, la chambre est un espace vide et invisible, maintenu secret dans le mécanisme de l’appareil. Ici, l’artiste révèle sa forme restée en creux et l’élève au rang de sculpture. Le geste est sculptural, mais le procédé se tient au plus près de la photographie ; c’est là sans doute la prouesse que réussit, avec des moyens simples, Jacinthe Lessard-L.
L’accrochage disperse volontairement des photographies aux formes très différentes. Il ne rend pas compte d’une quelconque chronologie ou catégorisation des objets. A contrario, d’une démarche classificatrice, l’exposition privilégie les correspondances formelles et rend l’ensemble efficace visuellement.
La passerelle entre les deux salles reste restreinte. Le passage de l’un a l’autre n’est pas évident même si deux images extraites de la série se retrouvent isolées dans la deuxième salle. Elles sont placées à proximité d’un long texte mural, qui se déroule sur tout le mur, une retranscription du film Blow up. Réalisée en temps réel, la retranscription est une course contre le temps, qui cherche à fixer momentanément l’image cinématographique qui défile.
Nécessairement incomplète, déformée et subjective, cette saisie du film tient à la fois du geste conceptuel et de l’absurde. Mais l’un n’est pas nécessairement distinct de l’autre. Le protocole strict issu de l’art conceptuel, côtoie une forme d’absurdité qui apparaît dans cette pratique impossible à accomplir. Il est sans doute plus intéressant de se prêter à la lecture de cet acte impossible, de s’amuser de ses manques, de sa syntaxe et de son rythme que d’y trouver une référence trop évidente à la photographie.
Là encore, c’est la forme tangible de l’écriture, le matériaux concret que manipule l’artiste qui a la faculté de nous surprendre et de nous offrir une approche différente de la photographie, que l’artiste qualifie d’« oblique ». Cette forme d’hommage à la photographie modifie aussi notre façon de l’appréhender : en soulignant la présence de l’objet plutôt que de l’image, Jacinthe Lessard-L prend la photographie à rebours.
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