Art Souterrain : six pieds sous terre
Myriam Dion, Arborescences journalières, CDP Capital
photos : Marouen Arras
Imaginez faire une exposition de 7 kms de long : pour sa cinquième édition, l’événement Art souterrain affiche son gigantisme. Le parcours comprend 140 œuvres d’artistes actuels, exposés au fil du circuit des tunnels, accès de métro et galeries commerciales de la ville souterraine de Montréal. En prise directe avec cet environnement urbain, les œuvres font face au pari délicat de venir capter l’attention du public.
Martine Frossard et Isabelle Guichard, La marelle, Cité Internationale, CDP Capital
Tous les projets des artistes sont maintenus cette année par une thématique – Lieux de passage - afin d’entrer en étroite connexion avec la fonction de circulation des espaces qui les accueillent. Certains projets ont été spécialement conçus pour ces lieux, d’autres sont présentés dans ce contexte pour la première fois, sortis à cette occasion du White cube familier de l’espace d’exposition.
Art Souterrain infiltre ces espaces de circulation à grand renfort de signalétique. L’événement doit s’appuyer sur une visibilité forte pour pouvoir exister parmi ces espaces saturés de signes d’orientation, d’enseignes de boutiques et de panneaux publicitaires. La sollicitation visuelle est parfois tellement dense que les œuvres se confondent dans la masse de signes. À leur détriment, elles ne parviennent pas à engager un rapport avec le milieu qu’elles occupent.
Simon Bouchard, Hi There!, Place des Arts
Dans le couloir du Centre Eaton – l’un des pôles important de l’événement – les œuvres semblent survivre en se dotant de supports connexes pour relever l’attention du passant. La médiation d’Art Souterrain passe cette année tout particulièrement par de grands panneaux explicatifs et par les usuels signes au sol et logos qui permettent de se diriger et d’identifier le lieu où se trouve l'œuvre. Mais, dans les aléas de la déambulation, le visiteur le plus vigilant a vite fait de perdre la signalisation de l’œuvre et de passer à côté sans la voir. L’effort de signalétique est complété par des guides de toutes sortes : programme papier, application mobile et audiophones veulent rendre les œuvres accessibles au plus grand nombre. Mais cet effort omniprésent marginalise parfois lui-même les œuvres, les plaçant en périphérie d'un dispositif signalétique très fort.
Flora Moscovici, Brick Road, STM Métro Bonaventure
Le choix de ce type d’espace a des avenues plus ou moins heureuses. On saluera les projets réalisés en fonction du lieu qui les accueille et qui parviennent à créer un dialogue avec leur environnement. Ils nous amènent à porter un regard différent sur ces lieux à la fois familiers et singuliers, que l'on traverse sans réellement les habiter.
Vanessa Lapointe, Société Invasive, Place des Arts
Ce sont sans doute les projets de grande ampleur, qui parviennent le mieux à marquer les lieux, dont la nature hostile oblige à sacrifier la discrétion au profit de projets d’allure monumentale. Les projets exposés pour Art Souterrain se distinguent en occupant un espace plus vaste, ou en usant de couleurs, mouvements ou bruits forçant l’attention. Certains médias s’adaptent plus aisément aux contraintes du lieu : l’installation, la sculpture et la vidéo de grands formats trouvent une place privilégiée là où la photographie tend à disparaître.
Christine Comeau, 3000 ans d’errance souterraine, Complexe Desjardins
Le long du parcours, l’œuvre doit faire véritablement obstacle à la circulation des usagers de la ville souterraine. Les projets ne semblent exister qu’à la seule condition que l’œuvre soit percussive plutôt qu’intrusive. Sur ce point, les performances qui sont réalisées dans le cadre d’Art Souterrain prennent un intérêt non négligeable. Parce qu’elle impose au passant une présence humaine atypique, parce qu’elle permet de jouer sur les lieux inhabités des souterrains, la performance trouve une forme de visibilité inédite dans cet événement. Avec elle, Art Souterrain se tourne vers cette dimension artistique dont il revendique l’importance : la confrontation directe et spontanée avec l’artiste et son œuvre.
Maria Eugenia Poblete Beas, Translations, CDP Capital
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