Baliser le territoire : en terre inconnue
Mike Patten, Native Beating, 2012
À l’occasion de la rentrée culturelle de janvier, la galerie Art Mûr accueille l’exposition collective Baliser le territoire. Ce projet d’envergure est aussi un projet double : l’exposition entend à la fois offrir carte blanche à une artiste à titre de commissaire et constituer une véritable manifestation d’art contemporain autochtone à Montréal.
Edgar Heap of Birds, Dead Indian Stories, 2011
Baliser le territoire aurait très bien pu se glisser dans la peau d’un portrait collectif du peuple autochtone. Rassemblant 25 artistes autour de leur appartenance à la culture amérindienne, l’exposition ouvrait la voie à une forte revendication identitaire.
Pourtant l’exposition n’intervient pas à la manière d’un portrait. Il est plutôt question de thèmes connexes, limitrophes aussi - pour reprendre la vision territoriale de l’artiste-commissaire Nadia Myre- à la question identitaire : la migration géographique, le déplacement des codes culturels, leur assimilation ou encore leur hybridation.
Sonia Robertson, Évocation d’un territoire perdu, à la mémoire de Philippe Côté, 2011 - crédit photo Guy L'Heureux
Cette dernière est particulièrement prégnante dans les œuvres de Maria Hupfield ou Michael Patten, laisse découvrir des œuvres dans lesquelles s’additionnent ou se divisent les deux champs culturels – autochtone et occidental. L’exposition rend visible leur rencontre, mais refuse de la considérer sous un aspect unilatéral.
Rebecca Belmore - crédit photo Guy L'Heureux
Les techniques artisanales, les éléments clés et connues de cultures autochtones réapparaissent à plusieurs occurrences pour se mêler à un langage moderne assimilé par les artistes. Cette alliance fait parfois acte de confrontation brutale ; elle évoque les affrontements qui ont marqué l’histoire des peuples autochtones par le biais d’une violence explicite dans les œuvres de Michael Patten ou encore Edgar Heap of Birds.
La commissaire Nadia Myre a volontairement eu recours à une grande variété d’œuvres afin de tracer les voies sensiblement différentes qui existent aujourd’hui pour approcher le questionnement des artistes autochtones. L’exposition ne se referme pas sur un genre ou une définition étroite d’un art autochtone. Bien que cette forme soit attendue et semble une fois de plus revisitée (Raymond Dupuis, Marianne Nicolson), le vocabulaire de formes et de supports de l’exposition est toujours ouvert. Elle offre une vision nouvelle grâce notamment à l’œuvre vidéo de Greg Staats ou aux monotypes percutants d’Edgar Heap of Birds.
Nicholas Galanin, Inert, 2009
Une série de peintures abstraites jouxte une installation reprenant une forme humaine à taille réelle de Rebecca Belmore ; une séquence de masques en porcelaine fait face à une peau de loup au sol et à une œuvre de Nadia Myre, discrète en vitrine. Les salles de l’exposition confrontent volontiers volume au sol et œuvres murales, ou encore œuvres colorées (Marianne Nicolson, Jason Baerg) et dessins en grisaille ou au ton terreux (Hannah Claus, Greg A. Hill).
Tania Willard
La présentation en série prend une large place et offre sans doute une uniformité louable à l’ensemble du parcours. La répétition des formats ou des motifs produit cette régularité et cet équilibre crucial qui n’auraient pas été possibles dans la succession de supports aussi diversifiés dans l’espace d’exposition.
Là où le spectateur attendrait un art identitaire, un art s’affirmant comme une zone artistique franche, Baliser le territoire présente aussi de nombreuses zones d’ombres. La culture autochtone s’affirme souvent en creux dans les œuvres les plus sensibles de l’exposition, lorsque les artistes utilisent sans débordements les codes, les signes linguistiques ou les références historiques liés à leur appartenance autochtone.
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