Conseil no 9 : être artiste
Il faut assumer le fait d’être artiste pour être reconnu comme tel et avancer dans le monde de l’art, d’une manière ou d’une autre. Mais qu’est-ce que ça veut dire « être artiste » ? Sommes-nous artiste dès lors que nous fabriquons/faisons de l’art ? Est-ce que, plutôt, l’art n’est qu’une dénomination que nous donnons à ce que nous artistes faisons ? Autrement dit, qui vient en premier, l’artiste ou l’art ? L’œuf ou la poule ? Est-ce que tout ce que fait un artiste est de l’art ? Ça dépend. Dans certains cas, oui, dans d’autres non.
Il y a des a des artistes qui nourrissent une pratique dans un cadre bien précis, qui opère, presque machinalement et produise de la magie … D’autres sont perpétuellement contaminés par leur « état d’artiste », habitant le côté droit du cerveau, le siège de l’intuition, de la créativité et de l’extase mystique. D’autres encore allient adroitement leur côté rationnel, pragmatique et leur côté droit. Peu importe le comportement plus ou moins étrange d’une personne se disant artiste, elle se trouve digne d’être reconnue comme tel du moment qu’elle cultive une pratique. C’est la notion d’éthique d’atelier. Ainsi, en jetant un regard phénoménologique sur la question, on se rend compte que ce n’est pas l’artiste ou l’art qui arrive en premier, qui est le pôle déterminant, mais bien la pratique. On observe d’abord la pratique, ce qui se trouve entre l’artiste et l’art.
- le beau
- le sublime
- l’achevé, l’accomplit
- la substance
- la résonnance
L’artiste est celui ou celle qui s’adonne à une pratique artistique, qui nourrit et cultive un espace de création tel un alchimiste ou un savant fou. Cette pratique s’inscrit (souvent) dans un mouvement de recherche et de découvertes. L’exercice de produire des « propositions » plastiques, et ceci s’applique à l’ensemble des disciplines, de la performance à la peinture, en passant par la vidéo, la photographie, la sculpture et les happenings ; cet exercice donc de produire de telles propositions nous permet d’obtenir des preuves de concept(s). Certaines « preuves » peuvent s’avérer plus concluantes que d’autres. Ce que je trouve intéressant c’est de prendre un recul face aux œuvres (produits) individuelles et voir l’ensemble de « corpus » d’œuvres (production) en gardant en tête les notions de chantier et de progression. La pratique, en chantier, en devenir, voilà le cœur de l’art, l’ancre vers laquelle il faut revenir et de laquelle puiser une satisfaction. Non pas dans la gloire ou la renommée, ni même le succès (marchand ou autre). Ainsi nous nous gardons de cuisantes déceptions, nous nous éloignons du monde illusoire et vain d’une reconnaissance qui ne peut jamais vraiment être assouvit, comme une soif insatiable.
Mais vers quoi progressons-nous ? Quel est le but visé par la démarche de l’artiste, objectivement ? Il existe peut-être autant de réponses que de pratiques artistiques, tant le processus en soi est mué par des motivations mixtes et surtout par une subjectivité toute souveraine qui rend les œuvres d’art si uniques et souvent très attachantes. Le « regardeur », un tant soit peu sensible à la vulnérabilité inhérente à toute œuvre (offrande au monde), ne peut que s’attendrir devant un tel spectacle. Cet attendrissement provient de l’écho de sa propre subjectivité, et l’amène à réfléchir, à ressentir, se questionner, etc. Voilà peut-être une des meilleures raisons pour continuer à faire de l’art : le potentiel de toute œuvre d’atteindre le cœur du spectateur, pour qu’il renoue avec sa propre subjectivité, sa vulnérabilité, son humanité …
Soyons fiers d’être artiste, que ce soit respecté ou non par notre entourage immédiat. Que nous soyons reconnus comme tel par nos « pairs » ou non. Nous vivons dans l’ère de la « présomption de la culture », où l’art est la fois consommé tel une commodité et dénigré, du moment que ce n’est pas la « cup of tea » de l’audience, pas de bon goût. Picasso disait : « le bon goût est l’ennemi de la créativité » … Du moment que nous cultivons une pratique et sommes engagés dans ce processus vivant qu’est faire de l’art, ne doutons pas que nous sommes artistes. Il n’est pas nécessaire d’être représenté par une galerie, ou même de vendre des œuvres. À mon avis, il est préférable de s’intégrer d’une façon ou d’une autre dans la communauté des artistes, de partager notre pratique, de s’exposer, même littéralement, de participer régulièrement à des expositions et autres initiatives artistiques. Toutefois, le plus important demeure de trouver des façons d’intégrer la pratique dans notre vie, d’y accorder une place.
Finalement, parce dans ce monde de l’art tout n’est pas rose, qu’on y trouve comme partout jalousie, tromperie, raillerie, réclusion et exclusion, tâchons d’apprendre à devenir plus diplomate. Essayons de ne pas cultiver l’animosité toute humaine qui peut émerger de conflits de personnalités entre les individus de cette tribu, de ce tout petit « milieu » de l’art. Apprenons aussi à défendre intelligemment ce « métier », au besoin, auprès de ceux qui ne sont pas de ce monde, mais sans plus. On ne peut convertir le public tout d’un coup. Il faut trouver les arguments qui expliquent pourquoi l’art est important pour le plus grand nombre, pourquoi il est nécessaire de continuer à contribuer à cet « axe de civilisation » qu’est l’art. Résistons aux pressions qui veulent nous anéantir. Car elles existent. Sans trop leur porter d’attention, portons plutôt fièrement cette mission, continuons ce combat qui ne pourra jamais être vraiment gagné tout à fait. Nous perdrions tous tellement plus à l’abandonner complètement.
merci Alain - c'est important pour moi de vérifier que le texte résonne pour les artistes - et pour ce qui est de la « jeunesse » c'est une façon de parler, cette série de réflexion s'adresse aux artistes de tout âge qui ont besoin (je pense) de renforcement positif, de motivation, voire de mobilisation ... dans un monde où la guidance m'apparaît pratiquement non-disponible, j'aime penser que ces textes peuvent apporter un axe de validation, qui demeure important, quoiqu'on en dise ... nous avons tous besoin d'être rassuré, surtout lorsque l'environnement immédiat n'est pas ou peu sensible à nos préoccupations d'artiste, de chercheur de l'invisible :)
Rédigé par : ratsdeville | 11/12/2011 à 10:25
Bonjour,
Même si je ne me considère plus comme un jeune artiste, je trouve toujours vos conseils très justes. Particulièrement le numéro 9, il me va droit au cœur. Privilégier le travail d’atelier, le corps à corps quotidien avec les matériaux, plutôt que le statut d’artiste, permet une forme de méditation active qui me revigore depuis déjà 20 ans et ce malgré un entourage assez hostile.
Merci Monsieur Bolduc
Alain Lapierre
Rédigé par : Alain Lapierre | 10/12/2011 à 11:19
Un texte qui devrait inspirer les profs d'art pour le faire lire aux étudiants. À quand une ptite publication de vos bons préceptes?
Rédigé par : analol | 10/12/2011 à 10:57