« MENS-MOI / LIE TO ME »
5 nov au 17 déc | Nov 5 to Dec 17
vernissage 5 nov 15h00 | Nov 5 ~ 3:00PM
artmur.com
J'aime la vérité. Je crois que l'humanité en a besoin ; mais elle a bien plus grand besoin encore du mensonge qui la flatte, la console, lui donne des espérances infinies. Sans le mensonge, elle périrait de désespoir et d'ennui.
- Anatole France, La Vie en fleur.
I love truth. I believe that man has need of it; but assuredly he has still greater need of the illusions that encourage and console and set no limit to his hopes and aspirations. Rob him of his illusions, and man would perish of very weariness and despair.
- Anatole France, The Bloom of Life
DINA GOLDSTEIN
JONATHAN HOBIN
KARINE GIBOULO
CLINTON FEIN
RENATO GARZA CERVERA
LOIS ANDISON - SIMON BILODEAU - DOMINIQUE BLAIN - SUSAN BOZIC - EVERGON - THE GAO BROTHERS - SARAH GARZONI - NICOLAS GRENIER - GUILLAUME LACHAPELLE - CAL LANE - NADIA MYRE - COOKE-SASSEVILLE - JENNIFER SMALL - BARBARA TODD - COLLEEN WOLSTENHOLME
Est-ce que détourner son regard de la vérité est un mensonge? Nous sommes tous, un jour ou l'autre, confronté à une vérité si amère que nous y aurions préféré un mensonge. Or, si ces vérités sont choquantes à entendre, elles le sont encore plus à voir – elles nous semblent encore plus crues. L’an dernier, Wajdi Mouawad, le directeur artistique du Théâtre français du Centre national des arts, avait sélectionné le travail de l'artiste Diana Thorneycroft pour illustrer le calendrier promotionnel du théâtre. Une vive réaction s’en était suivie dans les médias de la capitale nationale. Monsieur Mouawad avait donc dû défendre son choix, ce qu’il avait fait avec éloquence dans une lettre ouverte au journal Le Droit, dans laquelle il affirma :
Un artiste est là pour déranger, inquiéter, remettre en question, déplacer, faire voir, faire entendre le monde dans lequel il vit, et ce, en utilisant tous les moyens à sa disposition. Or, pour que cela puisse advenir, il doit poser un geste qui va d'abord et avant tout le déranger lui-même, l'inquiéter lui-même, le remettre en question lui-même, le déplacer lui-même, le faire voir lui-même, le faire entendre lui-même.1
Does averting your eyes from the truth constitute an illusion, a lie? At some point, all of us have faced a truth so bitter that we would have preferred a lie. But while such truths are shocking to hear, they are even more shocking when seen, seeming harsher. Last year, Wajdi Mouawad, Artistic Director of the National Arts Centre French Theatre, chose artworks by Diana Thorneycroft to illustrate the theatre’s promotional calendar. The hostile reaction that ensued in the national capital media prompted Mr. Mouawad to defend his choice in an eloquent letter to the editor of the daily Le Droit:
Artists are there to disturb, disconcert, question, move, reveal and give voice to the world in which they live, using all the means at their disposal. But for that to happen, they must do things that will first and foremost disturb, disconcert, question, move, reveal and give voice to themselves.1
Ils sont plusieurs à faire partie de cette catégorie d’artistes – leur approche peut varier mais le message demeure une invitation à la réflexion et au questionnement.
L’humour est l’un des moyens qu’ils utilisent pour démontrer l’absurdité du comportement humain. Ainsi, dans son Dating Portfolio, Susan Bozic nous fait découvrir la relation amoureuse parfaite – le seul hic est que l’homme parfait n’est pas humain. Quelle triste vérité! Le duo Cooke-Sasseville, pour sa part, présente une production satirique et teintée d’humour mais qui véhicule néanmoins d’importants messages. Leur installation intitulée La Vie en rose (illustrant un flamand rose posant sa tête sur une voie ferrée) nous fait prendre conscience que nous sous-estimons souvent les conditions qui mènent au suicide. L’œuvre Mourir enfin, quant à elle, nous présente une scène de désolation dans laquelle trois jeunes découvrent avec stupeur la catastrophe qu’ils ont créée.
« Je n’y peux rien » est probablement le pire mensonge qui existe, car il permet aux souffrances, aux catastrophes et aux horreurs de se perpétuer indéfiniment. En s’appropriant certains grands titres de l’actualité et des images choc véhiculées par les médias, les artistes contemporains confrontent leur auditoire à des situations qu’ils jugent inacceptables. En regardant une œuvre de la trempe de Village Démocratie, de Karine Giboulo, nous sommes ainsi confrontés à une interprétation personnelle d’une crise bien réelle et nous éprouvons un fort sentiment d’impuissance. Cependant, ce dernier est-il justifié? Dominique Blain, Nadia Myre, Renato Garza Cervera, Clinton Fein, Simon Bilodeau et Barbara Todd sont autant d’artistes qui ont puisé dans l’actualité afin de créer des œuvres choc qui nous interpellent et provoquent un sérieux questionnement chez le regardeur.
Selon certaines études américaines, nous mentons en moyenne deux fois par jour (à autrui, ce qui n’inclut pas les mensonges que l’on se raconte à soi-même), et selon d’autres études, la capacité à mentir apparaît naturellement chez les enfants vers 4 ans. Alors que nous avons la conviction que nous leur apprenons l’importance de la vérité et qu’il est mal de mentir, nous leur faisons en fait très tôt comprendre que toute vérité n’est pas bonne à dire : « On ne dit pas ça aux gens », « On ne parle pas de ces choses-là », et ainsi de suite. C’est la première leçon de mensonge – et, rapidement, nous complétons cette formation en les convainquant que le Père Noël existe.
Dans la série The Fallen Princesses, Dina Goldstein réinterprète les contes de fée disneyens en y insufflant une dure dose de réalisme qui ajoute du mordant à des contes démodés. En effet, la « bulle » que nous créons pour nos enfants est souvent fort loin du monde réel dans lequel ils devront évoluer. Dans Grandir n’est pas si difficile, Guillaume Lachapelle teste notre propre naïveté enfantine : alors que la mise en scène semble d’abord dépeindre un gentil personnage offrant un ballon à un enfant, un second regard (et une certaine connaissance des produits pour adultes) nous fait rapidement comprendre que ce n’est pas un ballon, mais bien un butt plug (un jouet sexuel) qui est offert. Ainsi, cette naïveté qui ne nous quitte pas totalement une fois adulte nous rend également vulnérables – Jennifer Small et Colleen Wolstenholme soulignent d’ailleurs, dans leurs projets respectifs, comment les religions savent bien exploiter cette vulnérabilité. Avec sa série In the Playroom, dans laquelle des enfants ont été invités à reconstituer des scènes d’actualité par le biais de jeux, Jonathan Hobin a suscité une polémique qui lui a valu une entrevue à CNN. Ses détracteurs ont été particulièrement choqués par cette série de photographies, énonçant que les enfants prenant part à ses mises en scènes d’horreur n’étaient pas en mesure de comprendre la portée de leurs actes et pourraient développer des séquelles sévères. Pourtant, si ma mémoire est bonne, ma génération jouait aux cowboys et aux Indiens (jeu qui consistait à faire semblant de s’entretuer, après tout)!
Doit-on se questionner sur la naïveté dans laquelle les enfants occidentaux sont éduqués et dans laquelle nous, adultes, nous complaisons?
Dans le discours de remerciements qu’il adressa suite à l’obtention de son prix Nobel de littérature, en 2005 (intitulé Art, vérité et politique), Harold Pinter déclara : « […] la quête de la vérité ne peut jamais s'arrêter. Elle ne saurait être ajournée, elle ne saurait être différée. Il faut l'affronter là, tout de suite . »2
- Rhéal Olivier Lanthier
Many artists fall into this category – their approaches may vary but their message remains a call to reflect and question.
Humour is one of the means they use to demonstrate the absurdity of human behaviour. In Dating Portfolio, Susan Bozic pictures the perfect romantic relationship – the only catch is that the perfect man is not human. A sad truth! For its part, the Cooke-Sasseville duo produces satirical works tinged with humour that nonetheless convey important messages. Their installation La Vie en rose (featuring a pink flamingo with its head on a train track) makes us realize that we often underestimate the conditions that lead to suicide. And Mourir enfin presents a grim scene in which three children stare in shock at the devastation they have wrought.
“There’s nothing I can do about it” is probably the worst lie of all, because it allows suffering, disasters and horrors to continue indefinitely. Contemporary artists appropriate headlines and shocking images from the media to confront their audiences with situations that they find unacceptable. Looking at a work like Karine Giboulo’s Village Démocratie, which is a very personal interpretation of a real crisis, we feel a sense of powerlessness. But is that feeling justified? Dominique Blain, Nadia Myre, Renato Garza Cervera, Clinton Fein, Simon Bilodeau and Barbara Todd have all have drawn on current events to create provocative works that speak to us and lead us to seriously question ourselves.
Some American studies have shown that we lie on average twice a day (to others, not counting the lies we tell ourselves); other studies indicate that children naturally acquire the capacity to lie around age four. We are convinced that we are teaching them the importance of truth and that it’s bad to lie, but they quickly grasp the message that not all truths should be spoken: “You musn’t say that to people,” “We don’t talk about such things,” and so on. That’s first lesson in lying, and we complete their training by persuading them that Santa Claus is real.
In the series The Fallen Princesses, Dina Goldstein reinterprets Disney fairy tales by injecting a harsh dose of realism that adds teeth to the outmoded stories. The bubble we build around our children is often disconnected from the real world in which they have to grow up. With Grandir n’est pas si difficile, Guillaume Lachapelle tests our childlike naiveté: At first glance, it appears to show a kind person offering a child a balloon, but a closer look (and a certain familiarity with adult products) reveals that the balloon is in fact a butt plug (sex toy). The fact is that the traces of naiveté we retain as adults make us vulnerable, and the works of both Jennifer Small and Colleen Wolstenholme point up the way religion exploits this vulnerability. In another vein, Jonathan Hobin’s In the Playroom, a series of photographs of children reenacting catastrophic events in the form of play, sparked a controversy that earned him an interview on CNN. His detractors were shocked by the pictures, claiming that the children cast in the staged scenes of horror were too young to understand their roles and could suffer severe aftereffects. And yet, if I recall correctly, my generation grew up playing cowboys and Indians (which after all consisted of pretending to kill each other!).
Should we question the naive innocence in which Western children are being brought up and which we adults complacently encourage?
In his acceptance speech for the 2005 Nobel Prize in Literature titled “Art, Truth and Politics,” Harold Pinter declared, “The search for the truth can never stop. It cannot be adjourned, it cannot be postponed. It has to be faced, right there, on the spot.”2
- translated by Marcia Couëlle
notes
- Wajdi Mouawad, « Le Véritable rôle de l’artiste », Le Droit, 13 avril 2010.
- Harold Pinter, « Art, vérité & politique », conférence Nobel, Stockholm, La Fondation Nobel, 7 décembre 2005, p.3.
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