Hier, 20 octobre, l'initiative CUBE de Québec offrait au cours d'une soirée une rencontre entre un artiste et un dirigeant d'entreprise. Le premier, le Brésilien Claudio Bueno crée des œuvres in situ fort intrigantes: une expérience auditive rendu possible qu’au moyen d’une application sur téléphone mobile par positionnement GPS. Par cette technologie le spectateur est transporté seul avec son appareil dans un univers sonore qu'il habite hors du monde, mais paradoxalement ancré dedans. Le second, Luc Vaillancourt présente les développements de son entreprise, Spatialytics Solutions inc., qui crée des applications logicielles basées sur la même technologies, à des fins d’affaires et géospatiales.
Jacopo Zucchi - The Assembly of the Gods, 1575-76
Deux univers, donc, se côtoient et interagissent. Deux univers qui utilisent à peu de choses près les mêmes moyens pour atteindre des fins très différentes, du moins dans les apparences. Le premier a des visées artistiques, crée de la beauté et du sens pour le spectateur. Le second, a des visées utilitaires et appliquées - pragmatiques.
Cette rencontre entre deux mondes, dont j'ai parlé hier dans un article, est initiée par la Chambre blanche, un centre d'artiste de Québec. Un rapprochement entre le monde des arts et celui des affaires. Il s'agissait d'abord de créer un événement de levée de fonds pour le centre d'artiste. Au final, on cherche à créer des rencontres fécondes entre artistes et gens d'affaires. La troisième dimension du cube, après les arts et les affaires, est la technologie. Plus précisément l'innovation, la recherche-développement qu'on retrouve en arts comme dans l'industrie, qui a comme fin la création de nouvelles technologies ou de nouvelles applications de la technologie.
Ce projet est singulier parce que ses promoteurs placent sur le même pied les recherches-développements artistique et industrielle. Pour eux, ces deux mouvements participent de la même logique - et je ne peux, personnellement, que me réjouir de ce lien que je défends depuis des années (j'en ai parlé dans cette même chronique, ici notamment).
En quoi la technologie peut-elle être le point de liaison entre deux univers que nombre de personnes tentent de rapprocher, avec un succès modeste depuis si longtemps? En quoi, surtout, peut-on rapprocher la "recherche-développement" du milieu des arts de celle des industries technologiques?
Il faut faire ici une distinction entre technologie et sciences. Les secondes peuvent être considérées comme un ensemble discursif générant des explications sur le monde, dans un mouvement de l'esprit vers la matière, alors que les premières, davantage empiriques, s'inscrivent dans un mouvement inverse. C'est en quoi les technologies se rapprochent, en partie, des arts notamment visuels - un travail sur la matière qui crée du sens.
Les rapprochements arts et sciences m'importent énormément, mais ceux qui rapprochent les arts, le monde des affaires et la technologie beaucoup plus - parce qu'ils partagent tous trois la même contrainte: le réel, la conformité à une exigence pratique et urgente, à la mise en pratique d'expressions justes du vivant. Que ces expressions justes soient à des fins utilitaires ou à la recherche de la construction de sens, le mouvement est le même: faire de la glaise de la vie, du concret, du tangible. Au-delà du sens en quelque sorte parce qu'il rejoint, ce concret - ou à tout le moins cherche à le faire - une exigence pratique: vivre.
La technique et les technologies participent à cette exigence depuis l'Antiquité. La technique permet le dépassement de nos limites individuelles physiques. Elles sont l'extension de notre corps. Mais très tôt, elles deviennent également le prolongement de l'esprit humain, par le monde réel qu'elles façonnent à leur manière. Les objets utiles façonnés par l'homme sont troqués et deviennent même des moyens d'échange - les premières monnaies qui sont apparues sont en effet, dans plusieurs sociétés, des outils et des armes. Des objets auxquels on ajoute, très tôt aussi, à leur dimension pratique une préoccupation esthétique, les artisans les ornant de mille façons.
Athéna, déesse du savoir et des techniques s'allie donc à Apollon, dieu des arts et à Hermès, celui du commerce, dans une collaboration qui caractérise profondément la civilisation: une alliance entre la création et les échanges humains qui permette de modifier le réel par la technique. Ces dieux n'ont pas attendu leur maître Zeus, trop occupé à d'autres tâches et batailles.
De même, des initiatives comme celle de CUBE n'attendent pas le leadership d'un gouvernement supérieur mais émergent du désir (voire de la nécessité) d'expérimenter le réel pour lui ajouter un supplément de vie, tout en étant profondément ancré dans les relations entre les humains, qu'ils soient artistes, scientifiques ou gens d'affaires. Dans ce projet, la frontière entre les arts et les sciences s'atténue pour le plus grand plaisir de tous et il permettra, c'est du moins le souhait de ses animateurs, de créer de nouvelles alliances créatrices. Ces échanges, s'ils sont féconds, permettraient à terme d'ajouter à la dynamique de la région de Québec. Une expérimentation inspirante qui mérite d'être suivie de près.
à mon tour de vous remercier Pierre-Luc pour cette lancée, je suis intrigué et j'abonde certainement dans certains sens que vous nous proposer ici, n'hésitez pas à continuer, comme Ianik, j'apprécie énormément, merci encore
Rédigé par : ratsdeville | 21/10/2011 à 21:04
Merci de cet intéressant commentaire, Pierre-Luc, c'est fort apprécié !
Au plaisir de vous lire à nouveau,
Ianik
Rédigé par : Ianik Marcil | 21/10/2011 à 19:20
Ces mouvements participent de la même logique parcequ'ils coexistent dans un même complexe technique et logique, soit la culture comme l'ensemble des constructions et activités humaines d'une société. Il y a donc, dans cette perspective, autant de liens entre le travail de Claudio Bueno et celui de Spacialytics, qu'il y en a entre l'oeuvre de Barnette Newman et celle du peintre en bâtiment. On connais l'histoire... Or l'histoire nous a aussi appris que la logique peut être à la fois vertueuse et vicieuse. La logique à elle seule ne peut rien nous apprendre sur ce qui motive réellement la création, et c'est pourtant dans cette motivation, ce mouvement presque primaire, que réside la fabuleuse singularité d'une démarche.
Si du jour au lendemain, tout le réseau technologique tombe, Spatilytics n'existe plus. D'abord parce qu'elle est née de préoccupations technicistes. Son mandat est de participer à l'accroissement de ce réseau et d'en faire la promotion. Dans le cas de Claudio Bueno, il saura sans doute s'en tirer à bon compte. Parceque, en vérité, ses intentions n'ont pas pour objet la célébration de la technique, ni de la logique qui en découle. Il y a là des approches perceptiblement décalées. Mais c'est peut-être dans ce décalage que réside toute la beauté de l'art qui, dans un même temps, résonne et résiste dans un réseau.
Rédigé par : Pierre-Luc Lapointe | 21/10/2011 à 17:38