Sarah Fuller : clinique onirique
par Claire Moeder
photos : Sarah Fuller & Galerie les Territoires
En étroite connivence avec un laboratoire de recherche médicale sur le rêve, l’artiste Sarah Fuller a élaboré le projet artistique Dream Lab. Intriguée par les possibilités qui s’ouvrent lors de rêves ou d’états seconds, l’artiste manipule son cycle de sommeil afin de toucher à l’instant fragile qui se situe à la frontière du subconscient.
Dream Lab s’appuie sur un protocole scientifique conduit sous l’observation minutieuse du Dream and Nightmare Laboratory de l’hôpital du Sacré-Cœur de Montréal. Durant plusieurs jours, Sarah Fuller s’est pliée au jeu du sommeil contrôlé. Plongée dans un état de somnolence, l’artiste était systématiquement éveillée lorsqu’elle atteignait le niveau subconscient du rêve, grâce au flash de son appareil photographique déclenché par les chercheurs. La photographie prise dans ce bref instant permet de se tenir au plus près cette phase interstitielle entre rêve et conscience.
La Galerie Les territoires présente à rebours le processus minutieusement suivi par Sarah Fuller. La première salle dévoile l’issue de l’expérience en découvrant sur les murs cinq clichés photographiques. Une série de quatre clichés similaires décline une séquence où l’artiste réapparaît systématiquement dans la même posture. Sarah Fuller se tient assise face à l’objectif, dans un cadrage serré qui laisse percevoir partiellement une porte et une table. L’artiste y pose en sujet d’observation médicale, son visage recouvert de capteurs enregistrant différentes activités dont celles de son cerveau et de ses paupières. Elle a également introduit une variante à chaque nouvelle séquence photographique en déclinant des vêtements et objets toujours différents : une camera obscura, un accessoire d’escalade placé entre ses mains ou encore une paire de lunettes de plongée posée sur ses yeux clos.
La série photographique de l’exposition poursuit une esthétique clinique, proche de la photographie conceptuelle et de sa quête d’objectivité dans la prise de vue. Les efforts de cadrage ou encore de déclenchement systématique sont issus d’un protocole à la fois strict et hybride, mêlant contraintes artistiques et scientifiques. Si l’esthétique minimale caractérise les tirages de Sarah Fuller, les œuvres qui complètent l’exposition apportent une autre dominante, sensiblement documentaire. Celle-ci est visible notamment par la présence d’un oscillogramme médical. Le document reproduit la courbe de l’activité EEG de l’artiste durant ses phases de sommeil et d’éveil.
L’exposition est complétée de deux vidéos ; la première suit la préparation du sujet avant l’expérience du sommeil contrôlé tandis que la deuxième filme tout le déroulement. On y découvre un plan fixe du sujet plongé dans le noir, oscillant entre les phases de sommeil et d’éveil où il évoque à voix haute les rêves qu’il vient de faire. Traitées à la manière de documents d’observation, ces vidéos mettent en scène avec simplicité cette part de performance qui marque également ce projet.
La collaboration étroite entre Sarah Fuller et le laboratoire teinte Dream Lab d’une esthétique clinique qui se veut résolument objective et minimaliste. Par le biais d’un rituel qui touche tout autant aux domaines de la science que de l’intime, Sarah Fuller mène son travail vers cette intrigue universelle qui entoure le rêve, ses zones imperceptibles et ses possibles passages vers la conscience.
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