Luis Jacob : à la lisière de la photographie
par Claire Moeder
photos : Musée McCord
Avec l’exposition L’œil, la brèche, l’image, l’artiste torontois Luis Jacob ouvre une boîte de pandore photographique. Il en extrait plusieurs dizaines de clichés célèbres ou anonymes où les photographies d’artistes côtoient archives muséales et clichés amateurs. L’œil, la brèche, l’image forme un récit captivant et insuffle à la photographie une puissance visuelle tout autant que conceptuelle.
Présentée au Musée Mc Cord, l’exposition articule deux projets récents de Luis Jacob : Album X (2010) et Cabinet (Montréal) (2011), ce dernier étant produit pour l’occasion à partir du fond photographique du musée. Le premier ensemble se déploie sur les quatre murs de l’unique salle, encerclant Cabinet (Montréal) qui prend place dans des vitrines au centre de l’espace. L’artiste a exploité les possibilités de l’architecture préexistante de la salle : chaque séquence d’images s’insert dans une longue alcôve murale, bordée de parois noires. L’artiste a retenu un système d’accrochage particulièrement simple, refusant d’ajouter tout effet de cadre ou de séparation physique entre les clichés. Les photographies sont ainsi placées sous des feuilles plastifiées, directement épinglées sur le mur les unes à la suite des autres. L’artiste fait ainsi disparaître le système d’exposition muséale au profit d’un système évoquant une présentation d’archives.
Avec Album X, Luis Jacob place sa collecte de photographies sous la thématique du cadre. Déployé sous toutes ses formes, ses usages et ses détournements dans l’art, le cadre devient ici la figure maîtresse de l’exposition. L’œil, la brèche, l’image, est marquée par un véritable souci de composition où Luis Jacob opère toutes sortes de rapprochements et de glissements méticuleux d’une image à l’autre, les combinant selon des motifs similaires. Narrant les variations de l’art du XXe siècle, chaque œuvre présentée partage des affinités électives avec la forme du cadre. S’y retrouvent intimement associées - entre autres - les clichés de salle de cinéma de Hiroshi Sugimoto ou les cadres noirs d’Allan Mc Collum.
L’installation de Luis Jacob est agencée en thématiques récurrentes parmi lesquelles se retrouvent en toute première ligne les accrochages dans les salles d’exposition et la mise en scène du spectateur devant l’œuvre. Luis Jacob conduit par la suite sa collecte vers les photographies dont les jeux de miroir - tel l’autoportrait en reflet de Jeff Wall - ou encore de mise en abîme – les clichés de Barnett Newman ou encore de Mark Rothko posant devant leurs toiles - recréent un second cadre dans l’image.
Œuvre référencée certes, Album X n’en est pas moins un séquençage ludique de l’histoire de l’art moderne et contemporain. L’artiste y met en scène un imagier ingénieux où se joue notre rapport aux œuvres, tour à tour affectif ou critique, autoritaire ou superficiel ou encore fétichiste. Son installation, si elle revendique des atours avant tout conceptuels à la manière d’une collecte documentaire, tient autant de l’album de famille que du jeu visuel savant. Loin de faire une lecture historique de la forme du cadre, Luis Jacob la manipule à son tour. À partir de cette mystérieuse frontière géométrique et symbolique, l’artiste génère de nouvelles fenêtres photographiques, oeuvrant à travers les indices qu’il collecte dans notre imaginaire collectif.
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