Berlinde De Bruyckere : poney d’apothicaire
par Claire Moeder
photos : Ela Bialkowska
avec la permission de l'artiste et Galleria Continua, San Gimignano / Beijing / Le Moulin
La fondation DHC propose une exposition de l’artiste belge Berlinde De Bruyckere autour de cinq de ses oeuvres. De cette étroite sélection, l’artiste extirpe un cortège de silhouettes monstrueuses, façonnées à partir de cire, résine, de bois ou encore de peau de cheval.
L’exposition offre un parcours en deux étapes : la première salle impose dès l’entrée une œuvre monumentale, Les Deux (2001). Elle est composée de deux sculptures de chevaux, retenus en hauteur par une structure de bois. Formées à parti d’un moulage en cire, elles ont ensuite été recouvertes de peau de cheval minutieusement recousue, tandis que leurs yeux et sabots ont été supprimés. Berlinde De Bruyckere joue sur nos perceptions usuelles de la sculpture, en détournant notamment le vide et le plein, le lourd et le léger. Placés à l’horizontale l’une par-dessus l’autre, ces poneys mortifères réinventent le genre de la sculpture équestre. Ils offrent au spectateur un face à face décalé, invité à confronter brutalement ces figures inertes et privées de regard et de bouches.
Sur les murs attenants, deux sculptures suspendues (Invisible Beauty and Invisible Love I et II, 2011) représentent des fragments de corps humains, dont on ne peut identifier que les jambes et une partie du tronc. La partie supérieure disparaît en se retournant sur elle-même et forme ainsi un amas de chairs, mêlé à des harnais. La posture maniérée des pieds, de même que les blessures qui marquent les chairs rappellent la représentation de crucifiés.
La seconde salle ouvre là encore sur une sculpture d’un corps amputé qui a été jumelé à une carcasse d’animal. De manière identique aux deux œuvres qui la précèdent dans l’exposition, 20 (2007) représente une silhouette hybride et dépossédée de tout visage. Dans l’exposition, les corps déformés se succèdent et se répètent, rejouant sans cesse la même expression de souffrance aveugle. L’ensemble des sculptures vient ainsi former une galerie de silhouettes monstrueuses, fragments sans figures, vouées à rejouer les expressions chrétiennes de la pitié et de l’effroi.
Les sculptures, ainsi mises en scène par Berlinde De Bruyckere, interpellent une curiosité macabre, identique à ce regard à la fois effrayé et scrutateur que l’on porte sur les anomalies médicales ou les « monstres » exhibés dans les freak show.
Des œuvres modelées en cire, la dernière est sans doute la plus élaborée. Présentée dans l’exposition sous le titre 0.28 (2008), elle est conçue comme un cabinet de curiosité, traditionnellement dédié à accueillir des artefacts. L’œuvre déroule, derrière les vitrines entrouvertes d’un meuble d’apothicaire, une série de troncs d’arbres moulés à partir de plusieurs couches de résine époxy et de cire teintée. À l’étage inférieur, le meuble contient un empilage de couvertures de laine. L’utilisation de vitrine, récurrente chez l’artiste, oblige à modifier notre regard, ramenant la sculpture au rang de reliques curieuses et précieuses.
Vision troublée et hallucinatoire du corps-humain, animal ou encore végétal- les sculptures de l’exposition s’engouffrent dans une dimension irréelle tout en nous ramenant à une confrontation immédiate, physique et violente avec elles.
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