Kent Monkman : fantôme de l’atelier
par Claire Moeder
L’artiste Kent Monkman a transformé l’espace de la Galerie Pierre François Ouellette Art Contemporain en un atelier pour le temps d’une exposition. Décor fictif et œuvres réelles cohabitent pour offrir une mise en scène temporaire et fantomatique de sa création artistique.
Au sein de l’espace neutre de la galerie, l’exposition propose une reconstitution de l’atelier de Kent Monkman. Délimité au sol par un pan de toile marqué par de nombreuses traces de peintures successives, l’espace de l’atelier vient clairement poser ses frontières physiques. Chaque élément y trouve une place juste et univoque : le mobilier de travail du peintre – constitué d’une table, d’une chaise et d’un chevalet - fait face au divan pour le modèle. La pièce du peintre s’expose telle quelle, dans le chaos organisé des outils, croquis, gravures et accessoires laissés par l’artiste. Un ensemble de dessins, et photographies préparatoires est fixé au mur à l’aide de simples adhésifs, retraçant les diverses documentations collectées par l’artiste.
L’atelier est refermé par un mur à l'arrière, percé d’une fenêtre. À travers des rideaux richement empesés, la vue s’ouvre partiellement sur une toile de Kent Monkman décrivant un paysage traditionnel canadien où figurent deux voitures modernes et une scène de lutte. Placée dans un passage plus étroit, l’œuvre a été accrochée vis-à-vis de l’atelier, visible à travers le pourtour de la fenêtre et délimité par une moulure dorée. De l’œuvre à l’atelier, le regard est entraîné dans un va-et-vient entre les limites de la fenêtre à celles du cadre. Le parcours propose ainsi un montage entre un espace fictif en deux dimensions et un espace réel tridimensionnel.
Kent Monkman a volontairement utilisé les modalités des dioramas qui permettent de reconstituer une scène ou un personnage au sein de son environnement. Il les a combinés avec un clin d’œil éclairé fait à l’histoire de la peinture et à la représentation - qui y est largement déployée - de l’atelier de l’artiste.
L’artiste y prolonge son geste de création par une mise en scène de son propre espace. Oscillant désormais entre un décor minutieusement élaboré et un espace entrouvert sur la gestation de l’œuvre, l’exposition maintient l’illusion de la représentation tout en nous proposant une reconstitution du réel.
Familier des anachronismes et des détournements de la peinture de genre – paysage, scène de rituel autochtone – l’exercice auquel se prête ici Kent Monkman poursuit ce geste à deux mesures largement présent dans ces peintures. On y retrouve cette fiction fragile où l’artiste disparaît derrière de possible alter ego, à l’image de Miss Chief Eagle testickle reprise dans la vidéo Dance to Miss Chief (2010) également présentée dans l’exposition. Pour cette exposition, l’artiste disparaît de son propre espace de création, au profit d’une fiction temporairement figée sur son œuvre.
Sous un aspect clairement composé, l’espace de Kent Monkman pour l’Atelier détourne notre regard des œuvres en deux dimensions, isolées dans le reste de la galerie, pour nous proposer une immersion temporaire en amont du tableau. Plus encore, l’atelier vient lui-même faire tableau, mobilisant fortement le regard vers l’espace central de l’exposition, et s’offre de la sorte comme une œuvre à part entière.
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