Frédéric Lavoie : déjouer le roi du silence
par Claire Moeder
détail
Dans l’exposition Barda, Frédéric Lavoie présente trois installations vidéo et photographiques récentes, chacune proposant au spectateur un jeu d’écoute distinct. L’artiste y orchestre une rencontre des genres où le cinéma et la littérature se partagent temporairement l’espace de Dazibao, accueilli par la cinémathèque québécoise.
Présenté en continu sur le mur, 146 secondes d’écoute active avec John (2011) crée sous la forme de plusieurs bandeaux verticaux, un découpage précis de Blow Out de Brian de Palma. Chaque plan est extrait du film afin de décomposer minutieusement le geste de John Travolta opérant en preneur de son. Ce récit photographique, nécessairement muet, évoque le son tout en rendant impossible sa représentation.
Avec Le Bruit et le silence dans les livres de Marguerite Duras (2011), la rencontre avec le cinéma s’opère encore en silence. Les images –arrêtées et muettes dans 146 secondes d’écoute active avec John- sont désormais absentes dans cette deuxième œuvre. Frédéric Lavoie reproduit uniquement un bandeau de texte qui défile sous un écran noir. Mettant en scène une sélection de phrases de Marguerite Duras extraites de différents livres, le récit fait référence aux mots que l’auteur utilise pour décrire le son.
Dans Le Bruit et le silence dans les livres de Marguerite Duras, seul subsiste le procédé cinématographique des sous-titres, placé en contrebas de l’écran de projection. En conservant cet unique élément, l’artiste renégocie notre rapport usuel face à l’image et au texte. Devenu une simple image aveugle, le film disparaît au profit de l’écriture. L’œuvre offre ici un temps de répit, quelque peu factice, en détournant notre regard usé par le flux d’images filmiques.
Le silence, fil conducteur des deux œuvres, a pourtant face à lui les bruits diffusés par des haut-parleurs dans la salle. La troisième installation vidéo et sonore Barda (2011) guide le spectateur à l’oreille : des flux continus de bruits sont associés à des images d’activités quotidiennes, filmées dans des parcs ou encore des rues. Frédéric Lavoie a fait appel à des bruiteurs qui ont composé trois trames sonores diffusées simultanément dans l’espace. L’image et son environnement sonore ont été volontairement dissociés puis remontés sans se rapporter l’un à l’autre.
Pour chacune des œuvres de l’exposition, le travail d’édition glisse sans cesse du livre au film, de la vidéo à la trame sonore. La rencontre des éléments, qu’ils soient textuels ou visuels, opère selon un effort de montage précis. Le temps est ici manipulé, découpé, altéré et rien n’est laissé intègre. L’artiste joue de la disparition volontaire où le son perd son récit visuel et inversement.
Ces installations tiennent beaucoup de l’ellipse et se déroulent dans le temps grâce notamment à des effets, propres à chacune, de décomposition et de coupures. Le spectateur y trouve des associations nouvelles : le texte devient aveugle et le bruit, solitaire. Elles créent une perte de ses repères usuels face à un extrait de cinéma ou à un roman. Le travail de Frédéric Lavoie s’appuie sur des techniques empruntées au cinéma plutôt que d’un désir visuel de « faire tableau ». Il rend également compte de l’emploi de projection vidéo et d’installation sonore, fréquent dans l’art contemporain sans pour autant en épuiser les ressources.
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