L'art c'est de la publicité, et inversement?
Banksy, dans un pastiche de Churchill qui n'aurait pas renié son sens de la formule, a écrit:
The thing I hate the most about advertising is that it attracts all the bright, creative and ambitious young people, leaving us mainly with the slow and self-obsessed to become our artists. Modern art is a disaster area. Never in the field of human history has so much been used by so many to say so little.
L'art et la publicité entretiennent des liens ambigus, voire conflictuels. La marchandisation de l'œuvre d'art que j'ai abordé depuis le début de cette chronique n'y est pas étrangère. En effet, le publicitaire Andy Warhol a créé la confusion en devenant l'artiste Andy Warhol. La promotion de son œuvre, comme on le sait, s'appuyait sur la force des techniques marketing. Dès lors, le Zeitgeist postmoderne s'est incrusté et la fusion/confusion entre art et publicité était née, comme l'affirment plusieurs théoriciens et historiens.
Il y a, quant à moi, beaucoup de confusion dans ce discours sur la confusion. Le mot de Banksy illustre un élément important de ce malentendu. L'obsession du discours de l'art sur la créativité en est la source. L'art n'a pas le monopole de la créativité. Mais surtout, la créativité n'est pas la totalité de l'art.
Bien sûr, nombre de publicités (peu importe le médium) sont très créatives et demeurent des chefs-d'œuvre d'esthétique. Mais en cela elles ne sont pas pour autant des œuvres d'art. Les inextricables liens entre l'espace marchand et celui de l'art sont tissés par une conception erronée voulant que l'art soit le lieu paradigmatique de la créativité. La créativité est au cœur d'un vaste ensemble d'activités humaines, des arts à la technologie, en passant par les sciences fondamentales et la pédagogie. La vente, le marketing et la publicité nécessite généralement, pour avoir du succès, d'être créatifs, également.
Comme les matériaux de la publicité sont les mêmes que ceux des arts, la confusion s'installe confortablement dans le lit de la créativité. À mon sens, pour véritablement dégager l'œuvre d'art du réseau étouffant des relations du pouvoir marchand, il est nécessaire de lui accorder le rôle civilisateur qui lui permet de les transcender. L'œuvre d'art - entendue au sens de l'ensemble de la démarche d'un artiste - se distingue ainsi de la publicité par son discours, le sens qu'elle crée et le regard qu'elle modifie par l'expérience esthétique.
Accorder toute la créativité et l'ingéniosité du monde à la publicité, autant qu'aux mathématiques ou à l'horticulture, permet d'appréhender ces productions de l'esprit humain dans leur totalité et leur individualité. Cette vision redonne, en contrepartie, l'individualité à l'œuvre d'art, ainsi distincte. Et de laisser à l'art la place qu'il lui revient, place qu'elle perd inéluctablement dans la confusion postmoderne (et post-contemporaine) entre art et publicité.
Bien plus, un tel dialogue ne peut être que fécond pour le développement des arts. Dans The Guardian il y a quelques années, le critique David Thompson (2004) soutenait que la confusion grandissante entre l'art et la publicité contraignait (ou devrait le faire) les artistes à justifier leur travail. Cette "justification" n'étant rien de moins que l'élaboration d'un discours étoffé réfléchissant les enjeux esthétiques à l'encontre de la marchandisation et d'une vision purement "créative" de l'art, indistincte de la publicité, desséchant les œuvres qui ne sont alors que de tristes oripeaux accrochés aux murs des galeries et musées, vides de sens.
Références
Thompson, David (2004), "Death of the gallery," The Guardian, 15 avril.
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