John Marriott : empreinte d’emprunts
par Claire Moeder
photos : Richard-Max Tremblay
Au sein de la Galerie Optica, John Marriott nous fait la promesse d’une exposition rétrospective qu’il ne tiendra pas. Symptômes avérés de l’univers de l’artiste, les œuvres présentées dans l’exposition Sum of some détournent les règles usitées du genre et propose un regard prospectif plutôt que rétrospectif sur près de vingt ans de création.
L’exposition décline un joyeux chaos où socle et sculpture, photographie et œuvre murale se côtoient afin de provoquer une désorientation curieuse du visiteur. La sculpture filiforme qui se dresse à l’entrée de la galerie est conçue à partir de gobelets en carton. Statuaire fragile et isolée, elle fait acte d’ouverture sur l’espace tout autant qu’obstacle sur lequel achoppe le regard - et la compréhension - du spectateur. Plus loin, il se trouve confronté à une vitrine. Une tablette d'argile y reproduit des signes archéologiques. Le support retranscrit en signes cunéiformes le code binaire qui permet la lecture d'une image de série télévisée gravée sur dvd.
John Marriott se plait à créer un rébus visuel à travers un assemblage éclectique d’œuvres de tailles et de formes radicalement opposées. L’éclatement visuel est d’autant plus affirmé que l’artiste a sciemment perturbé chacun des codes d’accrochages de l’exposition. Le socle muséal est transformé en plateforme de poutres de bois peint sur laquelle reposent sans distinction, fauteuil, étagère ou cannette de bière, tandis que la toile Black Diffuser est accrochée en partie dans le vide. John Marriott refuse de systématiser notre regard et en déplace les exigences : il faut lever les yeux pour découvrir, suspendu au plafond, Pan Optics - un aquarium créé dans une caméra de surveillance hémisphérique - tandis que l’œuvre Scary Mouse Hole conduit notre regard au niveau du sol.
Situé dans l’écart de ton et de discours qui peut intervenir entre le banal et le monde de l’art, John Marriott opère toute sorte de glissement au sein de ses œuvres. Au centre de l’exposition, une étagère apparaît en tant que standard générique de l’industrie. Elle a été repeinte selon un subtil dégradé de gris, produisant ainsi un jeu optique, illusion d’un éclairage artificiel. L’œuvre Throen détourne le design de la chaise conçue par Charles et Ray Eames en l’amputant d’un de ses pieds d’origine, remplacé par un fleuret d’escrime. Objet fuyant la réalité figée d’un usage banal ou mobilier évidé de toute fonction, les œuvres poursuivent un trait d’humour propre, où se croisent sans cesse le trivial et l’unique.
John Marriott se plait au jeu des combinaisons et des emprunts à partir d’objets identifiables qu’il « incorpore plutôt qu’il ne s’approprie ». À l’image des gobelets jetables formant une colonne infinie de Brancusi, l’artiste réitère ce sens vivace de la référence et de l’appropriation, terrain de jeu fertile alimenté depuis le post-modernisme des années 1980. Les œuvres Black Diffuser et White Diffuser, constituées à partir d’une ventilation de plafond, deviennent le prétexte central d’une toile peinte en clin d’œil à Jasper Johns.
En partageant de nombreuses accointances avec l’histoire de l’art, ces déclinaisons de formes et de matériaux semblent intégrer sans contrainte la définition de la peinture, de la sculpture ou encore de l’installation actuelle. Les œuvres de John Marriott trouvent ici une forme de liberté décomplexée dans la manipulation des formes.
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