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MEMENTO MORI / BONE AGAIN
SHAWN AYERST - COLLEEN MCLAUGHLIN BARLOW - SIMON BILODEAU - JULIEN BOILY - JEAN-ROBERT DROUILLARD - SARAH GARZONI - CATHERINE HEARD - DAMIEN HIRST - SPRING HURLBUT - LAURA KIKAUKA - SARAH PERRY - NICHOLAS & SHEILA PYE - BEVAN RAMSAY - KARINE TURCOT - COLLEEN WOLSTENHOLME
Memento Mori / Bone again
Texte de Rhéal Lanthier
Si aujourd’hui Memento Mori est le nom d’un jeu vidéo, l’origine de cette expression latine qui signifie « Souviens-toi que tu mourras » remonte à la Rome antique. Lors des cérémonies triomphales, un serviteur avait pour tâche de chuchoter « memento mori » à l’oreille du général victorieux pour lui rappeler que victoire ne rime pas avec immortalité et qu’il demeure un homme.
C’est au 17ième siècle que cette expression devient un genre artistique populaire qui laisse une large place à la représentation de crânes humains et qui est fortement influencé par la religion chrétienne. Ainsi, un crâne inséré dans une composition picturale symbolise la vulnérabilité de l’homme tout en se voulant un rappel de la futilité des choses terrestres. Il ne s’agit cependant pas là de l’unique interprétation de l’expression memento mori, certains lui donnant une tout autre signification, inspirée d’Isaï 22:13 : « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons! » Cette lecture, d’où ressort une urgence de bien vivre, se situe aux antipodes de la lecture chrétienne, qui prodigue au contraire retenue et vertu.
Crânes et ossements occupent une place prépondérante dans les productions artistiques contemporaines. Que devons-nous comprendre de la forte présence de cette iconographie dans le contexte actuel? Tous conviennent à reconnaître un regain d’intérêt généralisé pour les vanités, et ce autant dans les œuvres d’art, la mode, le design, etc. On les retrouve partout – sur les pochettes de disques, les livres, les bijoux, les t-shirts. Le dédain que le crâne humain a longtemps suscité disparaît, la mort ne semble plus faire peur. Cette libération de la crainte de mourir est principalement due à l’effritement de l’emprise religieuse sur nos vies. Les vanités modernes sont devenues autant de représentations de cette nouvelle liberté. Baruch Spinoza, philosophe néerlandais, a écrit : « Un homme libre ne pense à aucune chose moins qu’à la mort, et sa sagesse est une méditation non de la mort mais de la vie. »
Si nous connaissons aujourd’hui l’existence des dinosaures, c’est essentiellement dû à la survivance de leurs ossements à travers les années, et c’est également grâce aux ossements retrouvés par les archéologues que nous sommes en mesure d’évaluer à quand remonte la présence humaine sur terre. Nos os sont donc, d’une certaine manière, les composantes de notre corps qui se rapprocheraient le plus d’une certaine immortalité. Devrions-nous donc les considérer comme d’adéquats symboles de la vie?
Sommes-nous à la veille d’un nouveau mouvement idéologique, d’une nouvelle façon de percevoir l’existence humaine? Libérés de notre peur de la mort, deviendrons-nous des « bone again humans »?
Memento Mori / Bone again
Texte de Eve De Garie-Lamanque
Vanitas vanitatum, et omnia vanitas...
- Vanité des vanités, et tout est vanité…
D’emblée, la vanitas est le genre artistique qui domine dans cette exposition, où les éléments rassembleurs sont crânes et ossements. Toujours d’actualité, ce genre artistique a grandement changé au fil des âges. Il témoigne des mutations qu’a subies notre relation avec la mort au cours des trois ou quatre siècles derniers, et de l’impact important de la révolution industrielle ainsi que de la mondialisation sur nos activités et sur notre système de valeurs.
De nos jours, rares sont les Occidentaux pour qui la menace de l’éternelle damnation est une réalité quotidienne qui sous-tend chacun de leurs gestes et décisions. La foi en cette menace est d’ailleurs d’autant moins répandue au Québec que le nombre de croyants y est en chute libre. En quoi cela influence-t-il les préceptes moraux que nous privilégions? La mort et la maladie, bien que toujours présentes, ne sont plus ressenties comme des menaces constantes, l’industrialisation et les progrès de la médecine ayant entraîné une hausse significative de notre espérance de vie (une hausse d’environ 65% aura été observée de 1900 à 2000, dans les pays industrialisés). Notre mode de vie et nos habitudes de consommation ont changé, de même que nos craintes. Ainsi, plus que de mourir, nous avons peur de vieillir. Et plus encore que notre repos éternel, c’est notre quotidien qui nous inquiète, alors que nous réalisons peu à peu les conséquences qu’ont nos actes sur notre santé et notre environnement.
Les œuvres sélectionnées dans le cadre de cette exposition font beaucoup plus que méditer sur le caractère éphémère de l’existence humaine. Elles adressent plutôt la question de l’humanité dans toute sa complexité, tout en demeurant le reflet de préoccupations actuelles. Tantôt politiques ou postmodernes, elles s’inscrivent dans de longues traditions artistiques qu’elles honorent pour ensuite mieux subvertir, ou encore présentent des concepts philosophiques sous le couvert du populaire et du fantastique. Elles s’attaquent à la société de consommation, l’observant sous toutes ses coutures – de l’obsession maladive du luxe au « syndrome du Dollarama », en passant par la production massive en usine, qui entraîne graduellement la disparition du savoir-faire artisanal. Rien n’échappe à leur potentiel critique : le colonialisme, la paradoxale corrélation guerre-religion, le marché de l’art, l’élitisme sous toutes ses formes et la futilité de nos passe-temps, du jeu vidéo à la téléréalité. Incisives et éclairées, elles n’en demeurent pas moins poétiques ou carrément humoristiques. Dans un éventail de médiums, qui confirment l’éclatement d’un genre artistique, toutes déclarent la guerre à la vacuité.
Text by Rhéal Olivier Lanthier
Translated by Professor Norman Cornett
Nowadays a video game sports the name Memento Mori, yet this Latin phrase has its roots in ancient Rome and means, “Remember that you must die.” During victory celebrations a servant had the task of whispering into the triumphant general’s ear, memento mori, so as to remind him that he remained but a mere man, and that conquest did not entail immortality.
In the 17th century this term denoted a fashionable genre of art largely informed by Christianity. It gave pride of place to the representation of human skulls. For example, a death’s-head served in pictorial compositions to symbolize human fragility and equally to evoke the vaingloriousness of worldly affairs. However, this did not constitute the only interpretation of the aphorism, memento mori. Some gave it an entirely different connotation based on Isaiah 22:13, “let us eat and drink; for tomorrow we shall die.” This reading urged people to live life to the fullest and thus marks a stark contrast to the Christian stance which called for self-restraint and virtuousness.
Skulls and bones play a prominent role in contemporary artistic expression. What does the preponderance of this iconography signify in the current context? Everyone acknowledges the resurgent, widespread appeal of a vanitas aesthetic in artworks, fashion, design, etc. In fact, vanitas motifs appear across the board, whether on album covers, t-shirts, jewellery, or books. As traditional abhorrence of the human skull wanes so too death no longer seems to strike fear. The weakening of religion’s hold on our lives chiefly accounts for this freedom from the dread of dying. Modern representations of vanitas in effect mirror this newfound freedom. The Dutch philosopher Baruch Spinoza wrote, “A free man thinks least of all about death, instead he wisely meditates life.”
In the twenty-first century we know about the existence of dinosaurs primarily because their bones have survived down through the ages. By the same token, we can date the dawn of human history thanks to bones which archeologists have unearthed. One could therefore say that of all our body parts, bones come closest to a kind of immortality. Should we consequently view them apt emblems of life?
Do we stand on the threshold of a new ideological movement, indeed a new way of perceiving the human condition? Freed from our fear of death, will we become “bone-again humans”?
Text by Eve De Garie-Lamanque
Translated by Professor Norman Cornett
Vanitas vanitatum, et omnia vanitas…
- Vanity of vanities; all is vanity
From the word go the vanitas artistic genre claims the lion’s share of this exhibition, as evinced by its constituent skulls and bones. This type of art has evolved considerably over the course of time and remains relevant to this day. It bears witness to the changes that our relationship with death has undergone during the last three or four centuries. It also attests to the profound influence which the industrial revolution and globalization have exercised on our pursuits and value systems.
In this day and age the threat of eternal damnation informs the daily lives, decisions, and acts of precious few Westerners. Furthermore, in Quebec the number of believers has plummeted so that its inhabitants particularly give little credence to this threat. To what extent does that affect the moral precepts we advocate? Although ever present, illness and death no longer represent constant dangers. Rather, industrialization and advances in medicine have contributed to a major improvement in life expectancy (a rise of about 65% occurred from 1900 to 2000 in industrialized nations). Our lifestyles and consumer behaviour have changed, along with our fears. Little wonder then that ageing concerns us more than dying. In a similar vein, our eternal fate worries us less than our daily welfare because we have gradually come to realize the impact of our actions on our health and the environment.
The selected works that comprise this exhibition impel us not so much to ponder the fleetingness of human existence as to address its multifaceted complexity within the purview of contemporary issues. Running the gamut from political to postmodern, these works perpetuate well-established artistic traditions to which they pay homage, all the better to subvert them. These works also assume the guise of ‘pop’ culture and the bizarre in order to articulate philosophical concepts. Meantime, they confront consumer society by examining its pathological love of opulence, ‘Dollarama syndrome,’ and factory mass production, which sooner or later results in the loss of skills and crafts. Their critique leaves no stone unturned as it surveys colonialism, the ironic interdependence of religion and war, the art market, the many faces of elitism, and the futility of our pastimes ranging from video games to reality television. While informative and trenchant, these works prove equally expressive, if not playful. In the face of vacuousness they throw down the gauntlet through a panoply of mediums that testify to the explosion that has taken place in this artistic genre.
Bevan Ramsay « Jersey Girls »
Texte de Laurent Vernet
Jersey Girls de Bevan Ramsay est un commentaire ludique sur la valeur de la culture dans notre société. La ménagerie fabriquée de toutes pièces par l’artiste incarne une tension entre culture populaire et culture savante. Ce rapport de force est mis en scène par des squelettes de dinosaures de taille réelle qui évoquent le combat perpétuel que l’art mène au divertissement pour sa survie.
Pour le (télé)spectateur averti, le titre de l’exposition pourrait annoncer une série de portraits de Snooki et des autres participants féminins de la très populaire téléréalité Jersey Shore. Mais les filles de Ramsay ne partagent rien, en apparence, avec les Italo-américaines en vacances à la plage que présente MTV. L’ossature des trois vélociraptors et du tricératops réfère plutôt à ces maquettes en bois peu dispendieuses destinées aux enfants. Par contre, le modèle n’a pas ici été réduit : il se compare à la chose véritable, qui se retrouve désormais au musée, et dont le prix est en quelque sorte inestimable – à ce détail près que des squelettes de dinosaures ont récemment été vendus aux enchères à des particuliers. Suggérant ainsi une série de contradictions, ces sculptures semblent réfuter avec humour tant le statut de jouet que celui d’objet de collection.
Les motifs décoratifs qui agrémentent à certains endroits la surface nue des squelettes ont des sources historiques. Les carnivores sont ornés d’éléments du style rocaille, à la mode sous Louis XV. L’herbivore porte des motifs floraux associés au chintz qui, depuis le 17e siècle, ont été revisités par nombre de créateurs dont la designer Laura Ashley. Dans des tons doucereux et au fini métallique, ces ornementations sont les symboles d’une certaine définition du goût; d’une idée de la culture. L’artiste, à travers ce choix à la fois beau et ennuyant, provoque notre jugement esthétique. Ramsay nous force à questionner si ce qui relève du passé, tout comme ce qui est socialement considéré noble ou important est nécessairement pertinent.
La lutte que mènent les bêtes de Ramsay porte sur les paramètres qui définissent la valeur de l’objet d’art. Dans l’écosystème culturel, tant les lois de la nature que celles du marché régissent la place accordée à chacun. Mais la mélancolie et le pessimisme n’ont pas raison d’être. Face à Snooki et à ses acolytes, dont les mésaventures sont suivies à travers le monde, les dinosaures de Bevan Ramsay affirment leur postmodernité et refusent d’être en voie d’extinction.
Text by Michael Rattray
In the era of austerity, where unprecedented cuts to education, social-services and arts funding seem to know no end, it is nice to know that the well-to-do of the world can still shell out €1,296,750 for the purchase of one of our planet’s extinct inhabitants: the dinosaur. Breaking records in the European market, fall 2010 marked the sale of the remains of a female allosaurus to an unnamed buyer. Clearly, in our time where the disparity between rich and poor, have and have not, reaches unprecedented levels, what really compliments the 21st century home are the bones of a carnivorous lizard.
There is a playfulness to these Jersey Girls, they attract attention. Well-manicured and ornately detailed, they seem poised to attack or defend. A certain pop sensibility appears to inform the work, where kitsch and the child’s model interact to become something both mischievous and monstrous in the same moment. In part, the dinosaur acts as the flip-side of enculturation; children encounter history and evolution through what came prior. The natural history museum frames our collective imagination of the past, engrossing us with tales of giant lizards and a time wholly unlike our own yet completely similar. The past can be dressed up, remodelled, repositioned, to enact our fantasies and empirical judgements.
Recent Art History stipulates that Andy Warhol got his cue for the superstar tag from one Ingrid Superstar, a Jersey Girl. As well, Brian Jungen elevated the whale skeleton to high-art status through the appropriation of plastic deck chairs. I would argue Ramsay offers both a convergence and expansion of Warhol’s obsession with stereotype and celebrity and Jungen’s interest in the unlocked potential of the free and radically mundane. To discern status based on geographical locale, or the sign-fetish, allots a contingent moment for activism where art can intervene, comment, encapsulating the gestures of the current.
A good piece of art will always render its surroundings visible, provoking us to break out of our prescribed habitats and comfort zones. Stopping short of a slap across the face, the threat of being consumed by an oversized reproduction of many a child’s fantasy teases out the aggression intrinsic to our fascination. Why the attraction with oversized cold-blooded killers at a time when the war-economy appears infinite? Either way, I will be over by the triceratops, she carries herself in the right kind of way and that sartorial sophistication borders the angelic.
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