Jannick Deslauriers : inventaire en suspens
par Claire Moeder
photos : Guy L'Heureux
Au sein de la Galerie Circa, l’artiste Jannick Deslauriers compose un paysage fantomatique, peuplé de formes évidées et translucides. Entièrement constituées de tissus, ces fragiles sculptures invitent à une déambulation curieuse et envoûtante au cœur d’un univers où nos repères s’inversent.
L’exposition Traces et linceuls semble poursuivre un inventaire insensé d’objets, extraits du décor banal de notre quotidien. Un poteau électrique succède à un conduit d’eau, une pompe à essence se tient auprès d’un but de sport ; en confrontant ainsi des sculptures de tailles, d’échelles et de natures différentes, Jannick Deslauriers propose une proximité polyphonique entre ces objets, sans hiérarchie ni succession entre les formes.
Loin de créer des stations clairement délimitées, l’exposition offre plutôt un parcours labyrinthique autour des structures suspendues. Le spectateur se fraie d’étroits passages dans l’espace où se côtoient de minuscules souliers et un char d’assaut, un piano et des fleurs, ou encore des tuyaux et une façade de maison. La poursuite de ce dédale mène inévitablement à une perdition ; volontaire ou non, elle suit le cours des heureux hasards qui naissent de la rencontre des sculptures. C’est dans l’entrechoquement tout autant que dans la coexistence silencieuse de ces formes diverses, que l’artiste joue de nos sens et vient ainsi perturber nos repères.
Jannick Deslauriers élabore des sculptures à partir de tissu et de fil. Des pans de gaze sont découpés puis minutieusement assemblés afin de reproduire des objets tridimensionnels. Ces structures malléables sont dénuées de squelette et sont dès lors suspendues à l’aide d’un réseau de fils. Les structures en voile prennent l’apparence de fine enveloppe ; maintenue dans un équilibre précaire, elles menacent à tout instant de se disloquer.
Leur consistance fragile les mène vers un état instable, à la limite de la dématérialisation. Les sculptures évidées évoquent des vaisseaux fantômes, comme autant d’objets laissés à l’abandon. En creusant la matière, Jannick Deslauriers crée des objets vacants et amputés de leur fonction initiale qui sont désormais inutiles.
L’artiste produit sciemment des sculptures contradictoires. Elle s’intéresse aux contrastes possibles entre les matériaux qu’elle utilise et les objets qu’elle représente. Chaque sculpture de tissu déplace la pesanteur vers la légèreté, la rigidité vers la souplesse. Elle déjoue ainsi l’effet de volume plein et immobile de la sculpture classique. À la manière des sculptures molles de Claes Oldenburg dans les années 1960, les objets apparaissent dans une forme glissante, presque mouvante.
Jannick Deslauriers s’est tournée vers les artefacts les plus familiers, sans esthétique particulière. Ensemble, ils produisent un paysage impossible et insensé qui puise dans le détail des rues, des maisons et des objets pour révéler la complexité du réel qui nous entoure.
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