Conseil no 6 : passer à l'acte
Vous êtes compétents et constamment en voie d'acquisition de nouvelles compétences. Vous avez fait plusieurs listes, mentales ou écrites, de ces compétences, de vos objectifs, des actions à poser ... mais quelque chose cloche. Qu'est-ce qui nous bloque ? Quels sont les péchés de l'artiste ? Au choix : la paresse (on remet au lendemain), l’orgueil (besoin de contrôle absolu, anxiété du perfectionniste), l’envie (les pratiques des autres nous semblent bien meilleures), etc.
Quels sont les obstacles qui nous empêchent de faire ce qui doit être fait : entrer dans le studio, s'organiser, préparer une exposition, collaborer à un projet, rédiger une démarche artistique? Quelles sont nos habitudes toxiques, nos excuses chroniques ? Quels sont les zones de confort qui nous retiennent?
Paradoxalement, s'accorder du temps, du silence, un espace de réflexion, contribue à recharger le pouvoir nécessaire pour passer à l’acte. Le paradoxe est une contradiction apparente derrière laquelle se cache une sagesse. Alors qu’il nous faut un minimum d’énergie pour entrer dans le moment présent et agir, faire le saut, la meilleure « charge » demeure l’inspiration. Lorsque nous sommes inspirés, tout se met en place en un clin d’œil. Ça prend un brin d’audace, et nous sommes récompensés, nous entrons dans le « flow ». Un état proche de la transe où s’alternent des périodes d’extériorisation (action) et d’intériorisation (contemplation), et ce pratiquement sans effort, alors que l’esprit et le corps ne luttent plus l’un contre l’autre, dans un concours miraculeux doublé d’une économie énergétique. Ce type d’action nous prend peu et nous donne beaucoup en retour. C’est un état de grâce qui se rapproche de l’état mystique que connaissaient certains religieux du moyen âge et nous y avons tous accès.
Ceci dit, la nature humaine nous tire inextricablement vers le bas. Ses armes sont nos vieilles habitudes et nos excuses favorites : « je suis trop fatigué – je le ferai plus tard – quand j’aurai l’aide de xyz ça ira mieux - je ne sais pas par où commencer – je suis bloqué – je n’arrive pas à faire un choix - blablabla ». Quand nous entendons ces paroles, on peut reconnaitre le détracteur mental, le grand saboteur intérieur. Il est toujours là à guetter nos moments de faiblesse pour nous rappeler que nous ne sommes pas à la hauteur, qu’il y a bien meilleur que nous, que nous allons tomber, échouer, que tout ça ne rime à rien, etc. etc. etc. Il faut reconnaitre cette voix et faire la sourde oreille, puisque le détracteur ne nous donne jamais rien qui vaille. Il faut le guetter à notre tour, demeurer vigilant, car il est tout puissant et ne recule devant rien pour nous empêcher de tourner en rond et mener à bien nos projets. Son charme, tel le chant d’une sirène, est bien réel. C’est le pouvoir de notre côté obscur, l’ombre qui se nourrit de nos penchant autodestructeurs.
En ne choisissant rien, tout demeure possible. L'univers des possibles correspond à la nuit, à l’ombre, à l'imagination, un prélude à ce qui verra peut-être le jour, une germination, une attente, une gestation. En ne faisant aucun choix, on ne prend aucun risque. Tout demeure alors dans la perfection apparente de l’idée, du concept. Seulement ça n’existe pas vraiment, ça ne correspond à rien de réel. De l'ombre, il faut entrer dans le jour, dans le réel et l'imparfait. Il faut se compromettre un tant soit peu, dans le faire, dans l’action. C'est utile de visualiser, de considérer ses options, d'évaluer, de tergiverser même ; prendre en compte les stratégies, les potentialités, d'autant plus que ça contribue à nous préparer à agir, pour notre mieux-être, pour notre intérêt. En autant qu'on agisse, il faut faire le saut. Être prêt à sauter, voilà le but de la préparation, de l'évaluation ; rêver être un artiste, ce n'est pas être un artiste.
Finalement notre seul pouvoir est celui de nos choix. À chaque fois, on n'a droit qu'à une prise ; si elle est mauvaise, il faut faire avec, dans l'espoir de faire un peu mieux la prochaine fois. Le chemin qu'on emprunte est toujours le bon chemin. Ne pas jouer, voilà la perversion ultime, c’est la preuve que la peur a gagné, on paralyse, comme endormi, on demeure suspendu à la croisée des chemins, incapable de prendre une direction et avancer.
Espérer qu'une tierce personne débarque et arrange tout, qu'un agent, un galeriste, un mécène faramineux nous découvre et nous prenne sous son aile et s'occupe de tout à notre place ; ce rêve, cet eldorado est une aberration pour l’artiste. C'est ce qui l’empêche de se réaliser, de se responsabiliser, d'assumer sa réalité, de se mouiller, de s'accomplir, de devenir, d'aller à la rencontre de sa destinée. La destinée de l’artiste, c’est de faire de l'art, de faire cette offrande au monde, à ses semblables, de montrer aux autres sa sensibilité, la sienne, qui lui est propre, pour élever ce monde, pour lui amener plus de sensibilité, pour lui amener plus de compassion. C’est lui offrir un miroir, pour qu'il se voit d'une manière différente, qu'il s'ouvre à lui-même. Grâce à l'artiste, la société peut se regarder dans la glace … ce n’est pas rien.
Il faut comprendre que l'artiste de sert à rien (d'autre), rien d'utile au sens purement cartésien. Il est là pour nous élever (la société), pour nous rendre plus sensible, avoir plus de compassion. C’est un don ultime de pouvoir ainsi véhiculer la grâce au plus grand nombre. C’est un miracle renouvelé à chaque fois que l’on passe à l’acte. Allez, au travail !
Ce conseil m’a été inspiré par plusieurs sources au cours des dernières semaines, dont :
- le livre « Défier la gravité » de Caroline Myss, 2010
- le livre « Transformer la fatalité en destinée » de Roberto Ohotto, 2010
- l'entrevue « Anne Dorval, la tragédienne » par Sébastien Diaz pour l’émission Voir, diffusée à Télé-Québec
- le film « Mr. Nobody » écrit et dirigé par Jaco Van Dormael
- mon entretien avec Marc Séguin tout spécialement le passage « faire l’art que l’on peut »
- une vidéo de Alan Moore, interviewed by LJ Pindling of Street Law Productions. Final part 27 June 2008 in Spring Boroughs, Northampton, England, partagée sur facebook par l’artiste montréalais Scott Ferry
- une vidéo de Gwen Stefani « What You Waiting For? » 2004 Interscope Records
merci Benoit, je pense que c'est un défi pour la plupart d'entre nous .. ce l'est pour moi certainement, le truc c'est de réaliser que les procédés mentaux comme l'analyse (et la sur-analyse) doivent servir à nous préparer à l'action alors que souvent ils font le contraire, ils accumulent les complexes et les inhibitions, rendant l'acte (de passer à l'acte) des plus compliqués .. il faut abandonner l'idée des garanties, il faut penser que si ça ne marche pas comme on le souhaite, c'est toujours mieux que de ne pas essayer du tout
Rédigé par : ratsdeville | 07/02/2011 à 07:19
Un court texte très intéressant. Être dans l'action est un défi pour moi, je cogite souvent trop et tente parfois d'analyser mes choix dans le but de savoir ce qui serait le mieux pour moi au lieu de foncer. Quand on y pense, c'est tenter d'obtenir des garantis à l'avance sur ses choix! Malgré cette absurdité, combien d'entre nous font cette erreur?
Rédigé par : Benoit Chartier | 05/02/2011 à 21:04