Virginie Laganière : histoire cherche personnages
par Claire Moeder
À partir de prises de vues des abris anti-atomiques qui peuplent la Suisse, Virginie Laganière offre une vision désenchantée de paysages, entre enquête documentaire et huis clos immersif. Vidés de toute présence humaine, les clichés de l’exposition « Post Natural » prennent la forme de récits suspendus, en attente de personnages.
Topographie des lieux
Au sein du Centre Clark, Virginie Laganière a opéré un réagencement de la salle d’exposition en créant une installation dense et contraignante. Le spectateur est invité à entrer dans un premier sas, étroite pièce où l’on accède par une percée réduite à mi-hauteur dans le mur. Cette salle réunit des textes épinglés –extraits de correspondances et d’annonces diverses d’auteurs anonymes – et un poste de vidéosurveillance équipé d’un petit écran de télévision. Celui-ci anticipe la seconde salle en retransmettant en temps réel l’image d’une forme miniaturisée d’un lac et d’une chaîne de montagne. Placée plus loin au centre de la pièce, cette maquette fait face à une série de photographies qui se déroulent sur les murs.
Par le biais d’architecture, d’un dispositif vidéo, d’une maquette et de photographies, l’exposition propose une immersion au coeur de différents lieux résolument factices – l’un intérieur à taille réelle et l’autre extérieur à l’échelle d’un paysage miniature. En jouant à la fois de nos repères spatiaux et temporels, l’artiste modélise des paysages combinatoires, entre espace réel et espace fictif.
Imagerie helvétique
En juxtaposant espaces intérieurs et paysages, « Post Natural » décrit à la fois des écarts et des possibles recoupements formels, notamment entre les masses montagneuses, les horizons ouverts et les architectures bétonnées. L’évocation d’une Suisse pure et parfaite avec son décor bucolique de montagnes, de lacs et d’habitations, croise les lieux désolés et cachés des abris. Mis à jour avec simplicité, ces paysages souterrains qui essaiment dans le pays depuis la seconde guerre mondiale mettent à mal l’imagerie éculée des contrées alpines.
À partir d’une représentation documentée des lieux, la série de clichés photographiques, crée cependant une vision tronquée et ambiguë. Virginie Laganière poursuit une approche a contrario d’une iconographie attendue de la culture vernaculaire suisse et sème le doute sur les réalités établies.
Contre-architecture
Réalisé lors d’une résidence à Bâle en 2010, le projet « Post Natural » trouve son origine dans une investigation menée par l’artiste autour des constructions anti-atomiques : elle constitue dans son ensemble une possible topologie du phénomène, dans sa dimension à la fois architecturale et sociale. Virginie Laganière révèle le paradoxe de ces espaces à la fois désaffectés et réhabilités en lieu de vie. Réunis sous le terme d’« architecture de la peur », les abris prennent la forme de lieux d’exils vides et solitaires, teintés de peur à l’échelle collective. Ils deviennent ainsi des lieux équivoques et fantomatiques dont les structures abandonnées semblent former un récit suspendu dans le temps, à teneur apocalyptique.
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