Jana Winderen : esthétique du pôle
par Claire Moeder
photo : Galerie B-312
Avec le projet Energy Field présenté à la Galerie B-312, l’artiste Jana Winderen ramène à la surface les sons captés au cœur des failles de glaciers et des crevasses sous-marines du pôle Nord. Résultant de diverses expéditions en mer de Barents, en Norvège et au Groenland, son œuvre tient à la fois du projet environnemental et de l’art sonore.
Immatérialité et spatialité du son
Jana Winderen a privilégié les instances sonores pour reconstituer le paysage lointain du cercle arctique. La première salle présente un quadrillage constitué d’une série d’enceintes placées à hauteur du spectateur ; en arrière, une vidéo retranscrit un plan fixe du lent mouvement des icebergs. L’installation est une avancée tout en retenue face au décor glaciaire où l’image de la banquise, bien que présente, tient une place avant tout illustrative. Le spectateur est également maintenu à distance, particulièrement au sein de ce premier espace qui privilégie avant tout un dispositif sonore central. La seconde installation, quant à elle, réintègre la présence du spectateur, invité à se déplacer et à jouer le rôle de pivot central en étant encerclé de quatre enceintes et en faisant face à un écran vidéo. Par le biais d’une oscillation graphique, une ligne retranscrit simultanément les variations d’une trame sonore. L’image joue le rôle d’un lent récit conduit par les variations du son, produisant une figure abstraite et mouvante.
photo : Galerie B-312
Vestiges sonores
Le monde sous-marin est rendu accessible par le biais de systèmes de captations sonores : Jana Winderen a utilisé un hydrophone, permettant d’enregistrer les oscillations acoustiques et de les transcrire en oscillations électriques. L’artiste opère selon un protocole de prise de son qui se déroule à l’aveugle, en immergeant l’hydrophone dans les eaux profondes afin de recueillir de manière aléatoire les bruits sous-marins. La neutralité de ce protocole –tout autant que la neutralité de l’installation dans l’espace d’exposition– affirme la part scientifique et technique qui accompagne pleinement la démarche de l’artiste. L’œuvre de Jana Winderen n’est pas pour autant dépossédée de composition subjective et sensible. Nature Field s’éloigne sensiblement des enjeux proprement scientifiques afin d’infiltrer le champ esthétique et de décrire un champ sensoriel et contemplatif plutôt que descriptif. Elle oscille dès lors entre deux visées concomitantes, se plaçant à la jonction d’une approche démonstrative et artistique de l’écosystème du pôle Nord.
Fragilité sensorielle
Par le biais des moniteurs, des enceintes et d’une installation électronique délibérément apparente, l’exposition semble en quête d’une vision tangible du son. Plus encore, c’est l’espace physique et géographique de la banquise qui cherche son mode d’apparition possible que Jana Winderen décrit comme un « paysage invisible mais sonore, dont nous sommes largement ignorants ». L’artiste s’attache particulièrement aux césures sonores, allant de la craquelure sensible des icebergs aux infimes variations d’éléments immergés dans l’eau. Elle recompose ainsi l’environnement polaire au plus près de la tessiture subtile et fragile de son écosystème. En infiltrant l’espace l’exposition, les bruits capturés énoncent un paysage scandé par la lente dérive de la glace et par les mouvements des entrailles de la mer arctique. Libre variation sur la banquise, l’exposition rend compte à la fois d’une perception éclairée –menée de front grâce à des outils technologiques– et d’une fascination de l'artiste pour une forme de latence du son.
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