Clément de Gaulejac : à coup de canon
par Claire Moeder
Au sein de la Galerie Occurrence, les 3 Canons de l’artiste Clément de Gaulejac présentent trois exercices de filiation, entretenant chacun un rapport étroit et inédit avec des œuvres. Sous la tutelle de figures connues de l’histoire de l’art –de Duchamp à Smithson en passant par Nauman– l’artiste a constitué une série de dessins extraits du Livre Noir de l’art conceptuel.
Refusant de se plier au commentaire comme forme artistique, Clément de Gaulejac s’éloigne de la post-modernité. Il n’est plus question ici d’affronter les fondements de la modernité mais d’entrer plus avant vers cette création décomplexée et libérée que l’art actuel opère aujourd’hui vis-à-vis de ses pères. Le jeu de Clément de Gaulejac vient déplacer le piédestal sur lequel avaient été placés les actes ludiques, scandaleux ou encore radicaux des artistes des années 1960-1970 en entrant au musée et, par là même, dans l’histoire. L’art reprend ainsi la mesure de la simplicité absurde de l’objet ou du geste spontané, geste tour à tour déraisonnable, inutile, voire doucement irrévérencieux.
Collecte conceptuelle
L’exposition se tient au plus près d’une démarche conceptuelle : la collecte systématique. Sous la forme d’une sage séquence scandée sur le mur, Le Livre Noir de l’art conceptuel offre au regard du spectateur une vingtaine de vindictes : « l’art conceptuel dessine comme un pied », « L’art conceptuel a peur de tout », etc.
La diversité des propositions nous rappelle l’ensemble foisonnant et cohérent que constitue l’art des années 1960-1970. Extraits de leur isolement, ces actes artistiques se recoupent parfois et recréent un ensemble distinct de leur situation initiale. Détournés de leur contexte et de leur prétexte d’origine, les protocoles de Cadere, Broodthaers ou Beuys deviennent une série d’actes accidentels qui se succèdent et succombent à une forme d’absurdité. À manquer systématiquement leur cible, ils révèlent leur propre faillite et redeviennent les actes manqués d’une histoire de l’art mise en échec avec tendresse. Il y a quelque chose de triste et de troublant à se poser en spectateur de ces mises à mort douce-amère de l’art conceptuel. On y retrouve le goût du jeu déployé par la plupart des artistes défiant l’institution, à l’image notamment de Buren qui fait l’objet de la vidéo Les drapeaux de Buren (2007).
Le plein et le vide
Les tableautins vides de l’œuvre Fond (2010) sont un autre détour graphique opéré par Clément de Gaulejac. Le motif de la couverture intérieure des albums de tintin, si familier qu’il en devient subliminal, se retrouve ici comme le point d’orgue de deux grands formats placés en diptyque dans l’exposition. L’œuvre s’offre en négatif : le sujet de la toile disparaît ainsi au profit de la représentation du cadre. C’est également un vide qui permet à l’image de sortir en quelque sorte de sa propre histoire et de la paternité de son auteur, pour ressurgir sous une forme inusitée.
Les voix fantômes
Le fantôme de l’art n’est jamais loin. Il devient un compagnon de jeu pour Clément de Gaulejac qui se saisit des postulats de l’art conceptuel. Avec une fascination enfantine pour ces icônes et poncifs des années 1960-1970, l’artiste se prête à toutes sortes d’exercices sémantiques. Dans l’exposition, le détournement de l’art promet plutôt une déclinaison, doucement amortie par un trait simple et joueur hérité de la bande dessinée.
Claire Moeder réside et travaille à Montréal.
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