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LAWRENCE BECK
JASON HENDRICKSON
+ ULYSSE COMTOIS - DAMIEN COMMENT - LOUISE MASSON
La Nature, l'Art et l'Artifice dans le jardin
Noni Brynjolson
Le jardin semble contenir un potentiel inépuisable pour l’allusion et la métaphore : naissance, fertilité, créativité. Symboliquement, le jardin est associé à plusieurs mythologies paradis et utopies : Les Jardins d’Éden, Babylone, Arcadie n’en sont que quelques-uns. Mais seulement considérer le jardin comme une utopie, terni la domination de la nature, une caractéristique dominante de la modernité. La nostalgie pour la nature s’est même transformé en un mouvement artistique, le romantisme, durant l’industrialisation de l’Europe durant le 19ème siècle et continue d’influencer l’évolution de l’art jusqu’à maintenant.
Une question importante est soulevée par les œuvres présentées dans “Jardins’ : Qu’est-ce que l’on considère maintenant comme la ‘nature’, dans un monde dans lequel nous avons le pouvoir de créer, modifier ou tout simplement détruire notre environnement naturel ? Quelle est la proportion de ce que nous considérons être la nature est en fait de notre propre design ? Les œuvres dans cette exposition questionnent ces idées de diverses façons, présentant un point duquel l’on peut réfléchir à propos des intersections entre la nature et la culture dans la société contemporaine.
Les œuvres de Lawrence Beck explorent la frontière entre le réel et l’artificiel. Ses photographies des jardins de nénuphars superbes riches et colorées, présentent les jardins que Monet a construits sur sa propriété à Giverny où il vécut de 1883 jusqu’à sa mort en 1926. Les photographies de Beck suggèrent plusieurs surfaces simultanées : la surface visible sur laquelle les fleurs de nénuphars flottent, la profondeur impliquée par l’eau, les réflexions du ciel et des arbres. La rencontre de plusieurs couches en une seule image rappelle la construction de la photographie, et attire l’attention à l’artifice de la scène. Plus qu’une photographie bien composée, l’œuvre présente une recréation d’une scène que Monet aurait pu peindre. Il est intéressant de noter comment Monet a soigneusement contrôlé ses jardins, composant et réarrangeant une scène chaque jour avant de la peindre. Employant jusqu’à sept jardiniers à la fois, il introduisait continuellement des nouvelles espèces souvent exotiques à ses jardins, qu’il ensuite peignait. Dans les photographies de Beck, il devient apparent que nous sommes retirés de cette nature ininterrompue. En plus de simplement illustrer la beauté de ces jardins, les photographies de Beck font référence aux célèbres tableaux que Monet a produits de ces superbes jardins. Beck a créé d’autres séries d’œuvres qui oscillent entre la photographie et l’expression picturale incluant la série des ‘Thickets’ des images de la forêt, dénudée de feuilles mais foisonnant de détails qui font références aux artistes expressionnistes abstraits. Les constructions des photographies de Lawrence Beck rappellent également l’aspect construit, artificiel des jardins de Monet qui bien que composés d’éléments naturels, comme un spectacle visuel de manipulation humaine et de design. Ces jardins ont survécus et ils continuent d’exister en tant qu’attraction touristique.
Comtois a commencé sa carrière avec des tableaux de la même trempe que Borduas et des automatistes. Plus tard son travail s’est plutôt rapproché du style des plasticiens. Au début des années soixante, Comtois commença à créer des sculptures. Il deviendra un proche de Guido Molinari avec qui il représenta le Canada à la Biennale de Venise en 1968 avec des sculptures en aluminium usinées dans son atelier. Alternant entre la peinture et la sculpture, il ne se considérait pas comme un peintre ou un sculpteur mais comme un artiste qui questionne ‘les concepts d’espace, de structure et les relations entre-elles.’ 1 Comtois commença à s’inspirer du travail des néo-dadaïstes en créant des anti-objets avec lesquels on pouvait jouer. Les sculptures en cire firent leurs apparitions autour des années 1980 et furent exposées une première fois à la galerie Mira Godard à Toronto en 1986.Dans le contexte de l’exposition, on peut être porté à penser les sculptures de Comtois en relation avec l’espace de jardin dans lesquels ces œuvres pourraient être exposées, évoquant les connections entre les espaces construits de la galerie t du jardin comme existant à l’extérieur des espaces construits dans lesquels nous vivons la majorité de nos vies. On pourrait relier cette idée à l’idée de Foucault et de sa conception de l’hétérotopie, dans laquelle plusieurs types d’espaces existent simultanément- physiquement et psychologiquement à l’extérieur de la société de consommation.
Les tableaux de Louise Masson questionnent le lien entre la nature et le corps humain. À travers sa carrière, Masson a peint avec divers degrés d’abstraction, toujours avec l’idée que les mondes extérieurs et intérieurs sont inexorablement liés, évoquant par la même occasion des éléments de l’influence des automatistes. Toutefois, alors que les automatistes rappelaient l’importance de l’inconscient, Louise Masson explore l’aspect du corps également. Elle explique par exemple, « un tronc vertical qui fait écho à mon propre corps. » 3 Le travail de Masson crée un dialogue entre le paysage et la subjectivité intérieure, viscérale. Ses œuvres sont des paysages de l’intérieur : des espaces non-physiques qui sont toutefois reliés et navigables.
Les œuvres de Damien Comment explorent également les perceptions subjectives de la nature, cette fois comme arrière-scène pour ses figures jeunes et mélancoliques. Dans plusieurs de ses œuvres, le décor naturel suggéré accompagnant les figures est plutôt noir et inquiétant, pour évoquer l’état mental du ou des protagonistes. Les personnages de Comment semblent bien vivants, même si ils sont rendus avec des tons foncés et des couleurs de terre. La nature semble plutôt inquiétante. Des branches mortes flottants dans une eau marécageuse, des restes de nature sont présentés en décomposition. Dans les œuvres de Comment, la beauté de la nature environnante est souillée avec sa palette évoquant le gothique. Ses œuvres illustrent un sentiment d’inconfort, une tension entre la beauté et la mort.La tension est également présente dans les œuvres de Jason Hendrickson qui a créé une série de photographies dans un camping gay non loin de Montréal. Vues dans leur ensemble, les images de Hendrickson composent un portrait d’une communauté telles qu’illustrées par les résidences des campeurs. Les constructions modestes sont entourées d’arbres, et les jardins des campeurs suggèrent la permanence des occupants. Ces endroits ne sont pas seulement des endroits d’évasion pour un week-end d’été, mais plutôt une communauté alternative. Le terrain de camping devient un type de jardin en lui-même, et on peut le percevoir comme un espace pour une communauté marginalisée, pour des individus qui y voient un antidote aux problèmes de la société contemporaine, rejetant un modèle pour en créer un nouveau ?
Le Jardin, comme lieu pour l’interaction humaine avec la nature, nous offre l’opportunité de réfléchir sur une panoplie de sujets : la division entre la nature et l’artifice, la connexion psychologique entre nous-mêmes et la nature, le jardin comme un espace alternatif, le jardin comme un symbole de jeunesse, de sexualité, de désir et de décomposition, le jardin comme un espace d’exil et d’utopie. Dans un sens plus large le jardin peut devenir contre lequel on peut questionner l’idée de la nature et de la culture comme étant divisée, et comment cette séparation est accompagnée par la domination de l’occident sur le monde naturel depuis le début de la modernité. Plusieurs de ces questions sont adressées avec les œuvres de l’exposition ‘Jardins’.
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