vernissage 5 déc 15h00 | Dec 5 ~ 3:00PM
occurrence.ca
Dans Rectilignes (2007-2009), Robin Dupuis persiste, en quelque sorte, à s’intéresser à la figure humaine. Il ne s’agit pas ici, bien évidemment, d’une représentation ou d’un motif, mais d’une référence plus fondamentale qui est de l’ordre de la posture et du postural. Les composantes structurelles de Rectilignes renvoient effectivement à la position debout, spécifique à l’humain, thème que l’artiste a exploré il y a quelques années, et ce n’est pas anodin, à travers le mouvement des membres, que ce soit la locomotion de jambes (Démarches, 1999) ou la (non-) prégnance des mains (Itérative, 2002).
Mais on le sait, Robin Dupuis a délaissé avec les années ces motifs figuratifs au profit de compositions audiovisuelles plus nettement abstraites, ou tissées de présences allusives, comme dans Commutative (2006), lesquelles sont en cela davantage propices à étudier les phénomènes de perception qu’il entend faire éprouver au spectateur. C’est dire donc que, affranchis de la nécessité d’être identifiés, les sons et les images se prêtent plus volontiers à une expérience de type sensoriel ; débarrassés de la logique référentielle ou mimétique, les signes se rendent disponibles au corps d’abord et avant tout. Le dispositif, dans son ensemble, établit ainsi un lien fort de réciprocité avec le corps du spectateur qui, debout, est constamment ramené à sa verticalité, ce qui lui permet de rassembler, de faire tenir ensemble, plusieurs fragments sonores et visuels.
L’espace
de la galerie Occurrence ne laisse deviner qu’au bout d’un moment la
nature de l’intervention de l’artiste. Il y a bien cette présence
sonore, sorte de rumeur, qui se fait entendre depuis l’entrée, mais
l’espace d’exposition s’offre au regard dans un relatif dénuement, par
des surfaces à tout le moins immaculées. Trois colonnes blanches
reconfigurent toutefois l’espace, ajoutent des composantes
architectoniques qui modifient la spatialité des lieux. Minimaliste, le
dispositif évite les interférences et intensifie par le fait même la
présence de chaque donnée, si discrète soit-elle.
Puisqu’il faut, d’office, s’approcher de ce qui semble blanc – « Je ne vois rien », a-t-on d’abord envie de penser – se précise, progressivement, la perception du son. Or, l’attention s’en détourne au profit des petits écrans encastrés, tels des trouées de lumière qui découpent les colonnes. La structure rectiligne du dispositif orchestre en fait l’expérience de l’œuvre en ce que le voyage du son – distribué d’une enceinte à l’autre de bas en haut, et de haut en bas en boucle continue – se voit appuyé, voire relayé, pour une fraction de seconde, par les écrans qui donnent à voir sa manifestation visuelle.
Bien que ces « colonnes de son » s’animent en synchronicité, elles ne favorisent pas tant leur perception globale, c’est-à-dire indifférenciée ou à l’unisson, qu’elle n’invitent plutôt à les considérer une à une, selon un autre mouvement, cette fois latéral. En se déplaçant devant le dispositif, le spectateur découvre à tâtons des zones privilégiées, là où l’écoute du son s’avère, pourrait-on ainsi dire, optimale. Le type d’enceintes utilisées et le traitement sonore provoquent un phénomène qui délimite plus nettement l’espace de captation précise des ondes. Par conséquent le dispositif prescrit des lieux de réceptivité engageant tout le corps du spectateur dans une expérience physique temporelle du son que l’artiste ici a voulu cependant arrimer à un signe visuel. À moins qu’il ne s’agisse de l’inverse.
Partant d’une observation culturelle de la préséance du régime du visuel sur le sonore, Robin Dupuis invente un dispositif qui propose de reconsidérer cette hiérarchie des sens. Non seulement, pourrait-on déduire, les sens sont-ils inextricablement liés, mais existe-t-il aussi des stratégies pour en repenser l’expérience, le visuel dans Rectilignes se mettant en quelque sorte au service des ondes sonores pour en marquer le travail.
La matière numérique n’étant pas, par ailleurs, limitée à une seule occurrence, le son et l’image de synthèse au fondement de l’installation principale ont aussi été redéployés par l’artiste au sein d’interventions dans le sous-sol et la vitrine de la galerie. Ces dispositifs aménagent de nouvelles avenues de perception tout en insistant sur le caractère événementiel de leur expérience qui n’est, somme toute, jamais réductible à une seule.
MARIE-ÈVE CHARRON
Marie-Ève Charron est critique d’art pour le quotidien montréalais Le Devoir. Chargée de cours au Département d’histoire de l’art de l’UQAM, elle enseigne également l’histoire de l’art au niveau collégial. Elle a été adjointe à la rédaction de la revue d’art contemporain Parachute et a coordonné la production de diverses publications, notamment pour le Musée national des beaux-arts du Québec. Ses textes ont été publiés dans des revues spécialisées en art actuel (Parachute, Esse arts + opinions, Mix Magazine, Ciel variable) ou dans des ouvrages, dont le plus récent est Mon Régime. Martin Dufrasne (Séquence, 2008).
ROBIN DUPUIS
Depuis plusieurs années, Robin Dupuis contribue activement au développement de la pratique des arts médiatiques au Canada, notamment au sein de l’organisme montréalais Perte de Signal dont il est un des cofondateurs. Il a occupé la fonction d’agent de programme au sein du Service des Arts Médiatiques du Conseil des Arts du Canada et a assuré la coordination des États généraux de arts médiatiques au Québec en 2008. À titre d’artiste, Robin Dupuis a participé à de nombreuses expositions solos et collectives au Mexique, aux États-Unis, au Maroc et en Europe. Au Canada, son travail a fait l’objet d’expositions, entre autres, à la galerie Séquence de Saguenay, à la galerie d’art d’Ottawa et aux centres Oboro et Optica de Montréal.
Ses oeuvres d’animations numériques ont également été présentées dans de nombreux évènements internationaux dont le Transmediale de Berlin, l’International Film Festival de Rotterdam, l’International Festival Viper de Basel et Elektra de Montréal. Il a une formation académique en production cinématographique (BFA Fine-Arts, Concordia U., 1997) et en arts médiatiques (MA Arts visuels et arts médiatiques, UQAM, 2001). Il vit et travaille à Montréal.
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