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Des milliers de kilomètres, des centaines de photos, quelques interventions policières et un cœur arrêté pour témoigner de ce qui était en train de se produire. Voilà ce qui m’aura fallu pour travailler sur ma nouvelle série « Furève ».
Tout d’abord, laissez-moi vous expliquer l’origine de ce nom fictif qui s’est construit tout au long de ma démarche. « Fur » provient du mot anglais fourrure. « Ève », même si au premier instant peut nous rappeler Adam et Ève, découle pour moi, de la terminaison du nom de la ville de Genève; ville où a été signée la première Convention des droits humanitaires, en 1949.
Pendant ces premières nuits chaudes, surtout au printemps, lorsque les animaux sauvages sont encore faibles et engourdis des longs hivers, on retrouve chaque nuit, des dizaines et des dizaines de bêtes écrasées sur les routes. À partir du moment où ma photo est prise, mon processus de création est amorcé. Souvent la forme, la couleur de l’animal ou la façon dont il est placé sont très suggestives et laissent place à plusieurs interprétations scéniques… Un porc-épic ayant la patte tendue vers le ciel et l’autre sur la poitrine, une blessure à un chevreuil qui ferait un bras parfait... Ce que plusieurs dénonceraient haut et fort, moi pour le comprendre, je m’en suis approché, je l’ai senti et je l’ai recherché pour qu’il en ressorte quelque chose d’autre. Je ne dirais pas que je dénonce un droit quelconque, mais plutôt que je témoigne de ma vision. En faisant un montage par ordinateur, à partir des photos de bêtes écrasées, je crée des personnages qui interagissent entre eux. Il peut me nécessiter jusqu’à 70 parties d’animaux différents pour ne créer qu’un seul personnage.
Le déclic s’est fait en 2007; tout ce que l’on entendait concernait les catastrophes écologiques à venir, les déversements de pétrole, la fonte des glaces, etc. Mon questionnement s’est arrêté à l’interrogation suivante : assis devant son téléviseur le témoin de l’information ne saurait-il pas s’arrêter au signe avant-coureur du malheur qui se trouve devant lui ? La bête qui git et sèche au soleil, à une centaine de mètres sur sa route, ne résulte-t-elle pas de l’excès de l’homme et de son insatiabilité face au progrès et aux pressions à la performance ? Si des hommes et des femmes gisaient tout le long d’un trajet entre l’Outaouais et Montréal, nous y habituerions-nous?
Pour plusieurs, nul autre que l’homme n’a le droit d’interférer ou de se mettre à l’encontre de ses ambitions et de sa soif de conquérir ou de posséder. Mais encore le seuil de tolérance est à mon avis, très mince.
Giuseppe Arcimboldo est un peintre du 14e siècle. Il construisait des portraits à partir de fruits et de légumes (voir, entre autres, les œuvres « L’été » ou « Les quatre saisons en une tête »). Aujourd’hui, grâce à la technologie, les choses se concrétisent beaucoup plus rapidement. Une fois imprimée par jet d’encre sur papier archive, j’appose la photo sur panneau de bois Lauan. Mes personnages se trouvent alors sur fond blanc. Je crée donc à partir de cet instant, un environnement qui leur est propre, un empire, un monde en réponse à l’homme. Avec des médiums tels que l’encre, l’acrylique, la peinture en aérosol, l’huile, le graphite, le fusain, je donne vie à mes personnages dans une situation d’urgence, souvent centrale, ce qui aide à émettre un sentiment de responsabilité à celui qui prend place devant mon tableau. Figé dans le temps, quelques instants avant un impact sur la route …
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